I.
Je suis montée à Silver Dhunn
Le train file comme une voix que l’on veut étouffer
Une harfang des neige noircit les brouillards denses
Des fumées inquiètes s’échappent des rails rouillés
Je suis montée à Silver Dhunn
J’ai posé le scorpion sur la table en marbre rose
Un soldat devant moi
Regarde le ciel d’or par la fenêtre
« Je vais chercher ma fiancée,
M’ont crié ses yeux d’un battement de cils froids ;
Je déchiffrais des hiéroglyphes
Je n’avais pas envie de discuter ;
« Je vais chercher ma fiancée
Je l’emmène à Ellendonan
Dans le château de mes ancêtres
J’y couperai les gués du temps
Un nuage malheureux assombrissait
Le revers de ses mots ; ils prenaient feu
J’ai résisté à l’envie envoûtante
De changer de place aussitôt
Je suis descendue à An Gearr Loch
Ici la mer ourle la brume
Il m’a accompagnée sur la jetée
Son bras entourait ma taille.
Mon livre bleu, le reverrai-je
Les hiéroglypes, le papier froissé
L’ai-je oublié sur la plage, sur la jetée ? —
Les nuages d’Ecosse se tordent de rire.
II.
La fenêtre laissait entrer un voile d’or
Dans le couloir aux tableaux hantés
Ma sœur tu m’as vu grandir
Qu’ai-je besoin d’une jeune épouse ?
Je n’ai aimé que les champs de mon pays
Je n’ai espéré que le parfum suave de la nuit
Mais aujourd’hui me tord le cou
Et je monte dans le train pour Londres
La voyageuse a la blondeur du harfang des neige
Sa voix a la douceur du de lys fraichement coupé
Je crois qu’elle rougit quand je la regarde
Je lui prendrai la main à la prochaine station
Nous fuirons le bruit des villes
Ma fiancée, les armes ; sa main dans la mienne,
La guerre est un nuage qui s’approche comme un loup
Et l’amour éventre mon honneur
Le train dilué dans la nuit écossaise
Nous bavardons, nos yeux s’animent
J’ai froid ; le temps joue contre moi
J’ai peur de la perdre pour toujours – alors je lui ai volé son livre
Au soir sa silhouette grise s’évapore
Les peuplier frôlent mes larmes blanches
Il y a un démon dans ce silence sans elle ;
Je vais mourir à la guerre, c’est ma destinée
La mort est une sentinelle obstinée
Qui voudrait déserter, mais est enchaînée
A la potence du temps et de l’avenir ;
La guerre est l’enfant du silence
III.
Cela fait dix ans maintenant
Que je suis revenu des champs d’horreur
Mes mains ont foulé des rivières de sang
Gravi des sommets de chair et de peur
Cela fait dix ans, dix ans maintenant
Que j’ai épousé ma jolie fiancée
Il y avait une silhouette, le train était bondé
Mais – à quoi ressemblait son visage ?
Je n’ai gardé de ma jeunesse
Que des dessins sur du papier froissé
Ils ensortilègent mon présent
Son livre volé – je le connais par cœur
Je suis devenu professeur
Ma femme attend notre troisième enfant
Le soleil éclabousse notre jardin
Et son livre bleu commence à se déchirer
Je suis égyptologue, je parcours le monde
Pour retrouver le parfum de ses yeux en amande
Mais la clarté de l’amour s’estompe et la mort me guette
Jamais je ne reverrai la femme de Silver Dhunn
Assis sur mon fauteuil de velours, je sais ce que je lui dois
J’ai cherché toutes ces années son regard éclatant
En apprenant la langue qu’elle parlait
J’ai décapité les heures blafardes de son absence
Sous mon sang coule une rivière de regrets
La pureté du temps et un volcan de rage
Je l’ai aimée un soir d’été,
Par une nuit limpide, à Silver Dhunn
La nuit nous offrait son lit d’étoiles
Et j’ai masqué la lumière de mon amour pour elle
En faisant revivre des caractères magiques
Chaque fois que j’ai parcouru un kilomètre de l’Egypte.
Elle était montée à Silver Dhunn…