Il était une fois dans le riche royaume de Ireland une famille dans laquelle la fille dernière-née avait pour non Deirdre (*cœur brisé en gaélique).
Un jour qu’elle marchait aux côtés de ses parents pour se rendre dans la capitale pour un marché, Deirdre aperçut un oiseau. Elle plissa les yeux et des larmes glissèrent hors de ses paupières. L’oiseau se rapprocha. La petite fille, aveuglée par ses larmes, tendit un bras vers l’oiseau. Il se changea en réséda. Deirdre attrapa la branche d’arbre. Toujours aveugle, elle brandit le réséda vers la terre devant ses parent. Un lac apparut devant la famille, un lac aussi beau que le soleil de mars.
Ses parents prirent peur. Peut-être parce qu’ils aimaient la jeune fille moins que ses frères, peut-être parce qu’ils souhaitaient devenir de riches marchands sans histoire. Ils l’embrassèrent et lui demandèrent pardon. Puis, ils l’enfermèrent dans une tourelle de leur maison de ville.
La petite fille grandit quelques temps comme cela. Elle faisait parfois apparaître une harpe dans sa petite pièce. Elle en jouait, en rêvant à ce que sa mère lui ouvre la porte et la prenne dans ses bras.
De la fenêtre de la tourelle, Deirdre observait son père aller et venir dans son carrosse chargé d’armes.
Mais un jour, une tourterelle vint se poser sur le rebord de sa fenêtre. « Petit oiseau, je vais m’occuper de toi » dit Deirdre qui vit que la patte de l’animal était brisée. Elle s’occupa de la tourterelle jusqu’à ce qu’elle puisse voler à nouveau. « Peux-tu aller apporter un message à mon père pour lui dire de me libérer » demanda Deirdre à sa compagne qu’elle avait dressé à voler à nouveau.
La tourterelle partit sur le champ.
Mais cette nuit-là un violent orage éclata dans le royaume d’Ireland. La malheureuse tourterelle fut ballotée par des vents contraires jusqu’aux confins du royaume. C’est là, dans le royaume voisin d’England qu’un jeune prince, Ryan (*fils de roi), vit l’oiseau comme un point doré dans le ciel. Il détacha le message qui ne lui était pas destiné. Comme il était le fils unique du roi et s’ennuyait, dans ce pays superbe mais en proie à la misère, il répondit à Deirdre.
Il lui demanda de devenir son ami. Une goutte de sang glissa sur la lettre, mais la petite fille fut émue et déchiffra la missive sans problème, tant Ryan écrivait d’une belle plume. Ryan avait été élevé par les meilleurs précepteurs et son écriture témoignait de sa vive intelligence et de son éducation aristocratique.
Tous les jours à partir de cet instant, les deux enfants, la fée et le prince, s’envoyèrent des messages d’un bout à l’autre de deux royaumes. Personne ne sut rien de leur lien qui se renforçait de jour en jour. Ils se racontaient leurs vies. Deirdre écrivait d’abord de manière timide.
Mais elle commença à s’intéresser au pays d’England et à apprendre la langue maternelle de Ryan, une autre langue, moins connue encore que le vieil anglais dans lequel les deux enfants échangeait. Ryan était fils de roi, mais sa mère lui avait appris une forme ancienne de gaélique enfant, l’eirann, encore parlée dans un coin reculé de la terre. Et Ryan ne cessait de lui parler de Riocht Eirann, la terre des hommes qui parlaient l’eirann.
Deirdre commença à déchiffrer l’alphabet eirann pour impressionner Ryan. Elle rêvait de rencontrer son ami de l’autre bout de la terre. Mais elle était prisonnière, bien que leurs lettres lui ouvre une fenêtre sur le monde. Ryan ne cessait de la complimenter et de lui donner confiance en elle. Deirdre regardait s’envoler ses tourterelles vers son ami, et elle priait pour lui. Ryan de son côté, qui connaissait la situation tragique de Deirdre, priait pour son amie.
Mais un jour, le père de Ryan mourut. Ryan devint roi. Il oublia son amie la fée Deirdre et partit faire la guerre dans les royaumes proches. Il remporta vite une victoire puis deux, puis trois. Il devint le roi d’un royaume unifié, mais loin de celui de Deirdre. La mère de Ryan avait vieilli, et Ryan pensait toujours au peuple de Riocht Eirann le soir, quand il rentrait en habits boueux d’une campagne. Mais il n’avait plus de temps ni pour Deirdre, ni pour sa mère.
Le nouveau royaume fondé par le roi Ryan, surpassait tous les autres royaumes en puissance et en gloire. Ryan avait abandonné sa langue l’eirann pour l’anglais. Deirdre fut quant à elle un beau jour libérée de sa tour de verre. Elle essaya de poursuivre sa vie loin de Ryan, en aidant le peuple. Plusieurs fois elle rencontra des hommes de belle stature, mais les sorciers finirent par l’ennuyer. Elle exerçait sa magie en rêvant à sauver le pays de Riocht Eirann auquel Ryan l’avait fait rêver jadis quand ils étaient enfants. Car elle savait que derrière les nuages d’or de son pays, des hommes et des femmes vivaient les derniers instants de Riocht Eirann. Comme le lui avait dit Ryan plus jeune, la terre natale de sa mère courait un grand danger. Celui de se voir submergé par les vagues noires, que l’enfer envoyait depuis les ténèbres. Ryan écrivait enfant à Deirdre que seul l’alliance d’une fée et d’un roi pourrait sauver Riocht Eirann, le pays des confins du monde, abandonné aux eaux noires. Mais Ryan semblait avoir oublié Deirdre, Riocht Eirann et sa promesse.
Deirdre tenta plusieurs années d’attacher un message pour Ryan à la patte de sa tourterelle. Mais toujours l’oiseau revenait trempé par les pluies d’Ireland, sans réponse. Et l’heure était grave. Deirdre sentait que le royaume de Riocht Eirann mourait silencieusement. Alors elle quitta la maison qu’elle partageait avec un homme. Elle se jura de tout faire pour reconstituer l’alliance de la fée et du roi d’Ireland et d’England. Pour sauver un royaume insignifiant de l’enfer. Car, si l’enfer détruisait Riocht Eirann, ce serait la porte ouverte vers la destruction du monde entier, pensait Deirdre, en jouant de la harpe. Et elle caressait sa tourterelle en pensant au visage de Ryan, qu’elle n’avait jamais rencontré, mais qu’elle imaginait comme le plus beau et le plus pur du monde.
Sa tourterelle mourut, elle en dressa mille autres à lui envoyer des messages mais rarement elle recevait une réponse. Parfois, Ryan lui adressait des salutations froides, cordiales, distantes, depuis son palais.
Et dans son royaume d’England ou d’Ireland, les gens ne croyaient plus vraiment en la magie, ils préféraient admirer de loin les conquêtes clinquantes du roi Ryan qu’on disait beau et puissant. Un jour, Deirdre, entendit parler de Ryan par un jeune homme du nom de Finley qui l’avait connu. Elle envoya un dernier oiseau vers le palais de Ryan. Ce dernier finit par lui répondre une longue lettre qui enflamma le cœur de Deirdre.
Elle qui dépérissait car personne ne croyait plus en la magie, se réveilla un matin. Elle envoya les mille tourterelles dressées vers Ryan pour lui avouer sa passion qu’elle entretenait pour lui depuis l’enfance. Elle lui parla de leurs lettres, de Riocht Eirann. Mais celui-ci ne lui répondit plus. Devenue enfiévrée, la fée se mit à perfectionner son apprentissage de la langue de Riocht Eirann. Elle parlait tous les jours à Finley, qui avait connu le roi Ryan en personne jeune, et lui demandait comment il était, ce qu’il mangeait, comment il aimait s’habiller, etc.
Ryan lui, ne daignait pas renvoyer de message. Il était trop occupé à gagner des faits de gloire au combat. Deirdre, folle de douleur, devint à moitié folle. Elle avait souvent de la fièvre et délirait. Elle n’aimait plus jouer de la harpe.
Elle finit par cracher des serpents qui allèrent poursuivre le cheval de Ryan en pleine bataille ; celui-ci leur trancha le cou.
Deirdre s’endormit pour plusieurs mois. Quand elle se réveilla, elle envoya une dernière tourterelle vers le palais envoûté de Ryan. Elle souhaitait le rencontrer en personne. Mais Ryan vit l’oiseau blanc, partit au galop et le tua d’un coup de sabre en plein cœur sans lire la missive.
Deirdre, au moment du coup, se réveilla en sueur dans son lit. Elle regarda ses mains. La fée était devenue un fantôme.
Elle retourna au lac. Elle essaya comme enfant, de faire surgir un geyser de feu dans le lac de glace. Mais elle ne parvint qu’à créer un tourbillon d’énergie noire au cœur de l’eau profonde. Qu’allait devenir Riocht Eirann si l’alliance de la fée et du roi n’était jamais réalisée ? Elle était désespérée. Elle ne pensait qu’à l’indifférence de celui qui avait été jadis son meilleur ami.
Alors, Deirdre se couvrit d’un voile blanc et partit elle-même arpenter les routes du vaste monde. Quand elle croisait un bourgeois ou un mendiant elle posait tout le temps la même question « connaissez-vous le roi Ryan » et son interlocuteur lui narrait les derniers faits de gloire du roi. Elle assistait de loin à toutes ses victoires, elle entendit dire qu’il s’était marié, avait eu une fille, était heureux.
Deirdre finit par trouver la route qui menait, escarpée, à Riocht Eirann. Là-bas, elle tenta de conjurer l’influence de l’enfer. Mais sans Ryan, son cœur battait faiblement, elle était incapable de contenir les déferlantes de vagues noires qui aspiraient la terre et ses habitants, loin du palais impeccable et scintillant du roi Ryan, loin d’Ireland et d’England. Deirdre savait qu’elle était en train d’échouer. Elle regagna Ireland à pieds, un bâton de marche et un oiseau blanc pour seuls compagnons.
La magie était en Ireland et England une dimension du passé. Il se passa longtemps sans que Deirdre n’utilise plus ses pouvoirs.
Un jour, elle apprit que le roi Ryan était très malade. Il avait perdu une bataille contre le seigneur des enfers. Ce dernier lançait des cataclysmes sur son royaume après avoir anéanti Riocht Eirann. Ryan commençait à regretter la perte de Riocht Eirann. Il voyait le fantôme accusateur de sa mère en rêve. Il pleurait souvent en pensant qu’il avait oublié sa langue maternelle pour devenir un grand roi.
Quant à Deirdre… Elle se rappelait de la tourterelle tuée parce que les serpents et l’oiseau avaient dérangé le roi. Mais elle décida de lui pardonner. En s’agenouillant, elle traça des caractères magiques sur le sol.
1000 vers écrits à l’encre de feu qui racontaient sa passion pour le roi Ryan. Ces caractères, qui montraient la bravoure du roi et la lâcheté du seigneur des enfer, redonnèrent du courage à tout le peuple d’Ireland et d’England. Et le royaume martyr de Riocht Eirann devint le prétexte à gagner la guerre contre l’Enfer.
Ryan, après avoir mené cette guerre, sans savoir qui l’avait aidé, allait mieux de jour en jour. Il était heureux que son peuple à nouveau retrouve foi en l’avenir.
Un jour, il ouvrit la fenêtre de sa chambre. Une tourterelle lui apporta un message dans la langue de sa mère. Il ne la parlait plus depuis des années, mais il comprit les mots inscrits sur la lettre. Ils étaient ceux, les derniers, qu’il avait envoyé à Deirdre dans cette langue il y a des décennies de cela avant d’oublier la fée : « Je t’aime ».
Il comprit alors que la fée Deirdre avait chassé le seigneur des enfer pendant toutes ces années à ses côtés sans qu’il pense jamais un instant à elle occupé qu’il était avec la politique. Il déchira la lettre, mais les morceaux de papiers, en tombant à terre, formèrent une mare de sang.
A cet instant, Deirdre, qui n’avait jamais rencontré Ryan, expira et une musique de harpe se fit entendre dans les vallées d’England et d’Ireland.