Faro

Le porto refluait dans mes veines. Je vomis une première fois et l’écume mousseuse se teinta d’un carmin éblouissant. J’étais aveuglée par le soleil d’août. Les dunes de sable me parlaient, elles me disaient toutes « arrête ton char, descends de ta planche » alors j’ai trainé mon surf. Ma main saignait. Il y avait plusieurs surfeurs derrière moi, tous des pros. Ils me regardaient tirer la langue, la main en visière vers le n’importe quoi. Et puis, quand j’ai eu fini de remonter mon surf, j’ai vomi à côté de la planche tout le porto d’hier. Le soleil faisait un corridor de lumière à la plage. Des avions volaient bas et grisaient de leur ventre ballonné une fraction de l’océan. Je me suis allongé, j’ai mis mes bras en croix, et j’ai agonisé quelques instants « Pourquoi tu ne m’as pas rejointe ici ? Je sais que tu aimes l’ordre, et la poussière qui brille sur les souvenirs bien organisés, mais je t’aime, et je » et je vomis le reste du vin sur une petite plante frêle. J’arrachai la plante au milieu du vomi, et commençai à la mâchonner, à moitié happée par le parfum de iodine et de sang qui se dégageait de ma main. Je remarquai une éraflure à ma cuisse. Le ciel brillait comme un œil de prêtre, bienveillant, mais réprobateur. Je me levai, chancelante, pris mon sac sur l’épaule. Le bus partait à une demi-heure de marche de la plage. Je hâtai mon pas et lui couru après sans effet. Je finis par longer le sentier de la plage jusqu’à Faro, la capitale de l’Algarve. Brandissant comme une épée mon téléphone dont la batterie suffoquait, j’envoyais quelques messages.

J’avais consulté le tableau de vols en partance de Paris. Le prochain avec un nom accorte de destination s’envolerait dans quelques heures pour l’extrême sud du Portgual. Je rangeai quelques affaires qui trainaient chez moi, renonçai à faire la vaisselle, et me barricadai dans un cyclone de pensées dépressives. Qui sait si je n’oublierai jamais cet homme ? Je traînai ma valise d’escalators en marches puantes, embaquai sur le vol XXXX pour Faro. Quelques heures plus tard, j’étais sur le toit en terrasse d’un hotel. Près de la piscine qui me faisait les yeux doux, je sirotai un martini pêche en réfléchissant à l’inconséquence de l’amour. Ainsi, deux êtres que tout rapproche ne pourront jamais passer l’éternité dans un caveau l’un près de l’autre, puisque l’un d’entre eux n’est pas d’accord pour cette union. Je levai les yeux, un avion passa juste au-dessus du toit.

Comment oublier quelqu’un en quelques jours ? C’est le pari que je m’étais jeté à la figure comme de l’acide en venant ici plonger mon désespoir dans l’eau glacée – même les combinaisons ne vous empêchent pas de grelotter. Ma première décision fut de me brancher sur une application de rencontre. J’hésitai entre un portugais, un allemand et un anglais pour passer ma soirée, quand je résolus de donner la primauté aux citoyens locaux. Je m’ennuyai quelques heures avec le portugais, les battements de mon cœur s’intensifièrent au moment où il m’offrit une bouteille de vin pour me remercier de la soirée. En rentrant dans mon hôtel, j’avisai le barman, j’allai lui parler. Nous passâmes la nuit ensemble, lui, moi, mon téléphone dans ma main droite.

Je ne pouvais m’empêcher d’envoyer des messages éloquents à Sh… Il les recevait, ne les lisait plus. J’étais sur un bateau, entre Faro et l’île du Phare. Je marchais sur une île anonyme. Le vent me gifflait et me faisait promettre de l’oublier. Mais je photographiais une plage, un enfant, un marchand de glace, et lui envoyai, comme des promesses de sincérité et de bonheur artificiel. Un vol de flamand rose au-dessus d’un banc de pierres me rappela combien j’étais calme avant de l’aimer

Je revis ces derniers mois, passés à écrire un roman de 500 pages, une longue déclaration d’amour, son incrédulité, son regard plus transparent que l’insipidité qui étrangle le quotidien. Mes tentatives pour ranimer une flamme qui n’avait jamais existé par mes mots. Son manque de passion. Son absence d’émotions.

Je visitai toutes les églises de Faro, volant de l’une à l’autre comme une mouche attirée par du vin. Jésus me fit les gros yeux, je répondis en mastiquant un chewing gum, que je collai dans la nef des mariages. Eh quoi, je ne peux pas avoir l’homme que j’aime, à quoi bon sanctifier ces lieux d’union sacrée de mon respect ?

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