J’ai crée Dieu

Je suis sorti les mains en sang sur le toit en terrasse
Il pleuvait des détonations brillantes dans le ciel sans fond
Je me suis essuyé d’un revers de manche – J’ai cherché dans la nuit
L’indice de notre survie demain

Mais le firmament était vide. Je n’ai fait que pleurer
Alors que du ciel se déployait un escalier de pensées
Qui tournoyait dans mon âme comme dans une forteresse
Je me suis levé comme un fou, il pleuvait. J’ai brandi mon poing comme un gyrophare de police sur la nuit

Et j’ai promis aux nuages qui emmenaient mes souvenirs de bonheur
Que je serai celui qui donnerai enfin une forme à Dieu
La tête enfouie dans la terre, alors que les hommes tombaient comme des bûches brûlées
Sur les pelouses incendiées, au milieu des enfants qui s’époumonaient,

Le front contre la terre humide, les yeux révulsés, et l’âme contemplant le vide
J’ai inventé Dieu
Pendant sept jour, je lui ai donné forme humaine.
Sept jours – C’était devenu l’ambition, l’issue de toute ma vie

Le premier jour, j’ai sorti un bout de journal mouillé de ma poche
Et j’en ai fait un télescope imaginaire pour observer la lune
Les yeux fermés je la vois encore se moquer de ma quête
Mon frère m’a rejoint sur la terrasse nous nous sommes enlacés

Le deuxième jour, je l’ai emmené chercher nos parents
A travers le pays en guerre
Et pour forger une âme à Dieu
J’ai cueilli une fleur qui séchait sous le grill du ciel muet

Le troisième jour, j’ai abandonné mon frère
Devant la maison de nos grands-parents ; notre barque
Avait atteint un village sain et sauf — et pour faire pleurer Dieu,
Je me suis coupé volontairement la main et je l’ai plongée dans le fleuve noir de notre sang

Le quatrième jour, le cœur abîmé par l’espoir
Je suis rentré dans notre ville seul et le dos courbé,
Toute ambition m’avait abandonné, je n’ai pas travaillé
Et je me suis endormi comme un chien dans le caniveau

Il pleuvait encore sur mon visage sale, quand le cinquième jour
Pour que Dieu ait enfin un cœur,
Je me suis arraché le mien et avec lui tout espoir
De revoir le sourire de celle que j’aimais jadis

Et dont la maison voisine de la nôtre n’était plus
Qu’un tas de cendre dont se servaient les oiseaux de passage
Pour noircir leurs plumes et tromper le soleil
Qui les prenait pour son ombre et cessait de les brûler

Le sixième jour de mon entreprise
Dieu avait un cœur, une âme, des larmes
Mais à quoi ressemblait-il ?
J’avais omis de lui donner une silhouette et un regard

Celle que j’aimais jadis avait l’éclat d’une étoile
Les yeux brillants comme une vie ensoleillée
Les cheveux longs et elle dansait sans se préoccuper du vide
Qui menace l’être humain à chaque tournant de sa vie ;

Celle que j’aimais jadis avait la légèreté d’une feuille
Et en tombant elle m’a ployé comme un arbre sous la tempête
Je ne sais plus quel âge j’ai, si je suis encore en vie
Je n’ai plus que son souvenir dans mon esprit

Alors le sixième jour en fermant les yeux
J’ai donné à Dieu le sourire d’une femme
Les longs cils de celle que j’ai aimé
Et qui a rejoint les nuages qu’elle dissipait autrefois dans mon cœur

Le septième jour de mon improbable création,
Dieu avait un cœur, une âme, un corps ; même des larmes
Je suis sorti de ma maison en partie détruite par la guerre
J’ai ramassé dans les décombres un cahier

J’ai écrit ce poème avec une encre charnelle
Je l’ai recopié aussi longtemps que mes doigts ont pu tenir le stylo,
Puis j’ai couru dans les champs et sur les routes
J’ai distribué ma poésie aux survivants

Ceux qui pouvaient lire ont souri,
Ont-ils cru qu’un Dieu avait enfin pris possession du ciel ?
Ont-ils su que je n’avais créé qu’un peu de musique versifiée
Pour échapper au vide laissé par les combats ?

S’ils ne m’ont pas cru – ils ont fait semblant
Je suis devenu leur héraut sur cette terre ensanglantée :
Un poète — J’ habite un monde sans ciel, que je peuple de mes mots
J’habite un monde sans Dieu, je mythologise le cosmos vide

Les routes ont été reconstruites, les vallées ont fleuri à nouveau
Les enfants ont appris de nouvelles chansons, ma maison
Je l’ai rebâtie de mes mains en me récitant d’anciens poèmes
Dans un monde sans Dieu que les hommes détruisent

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