Champs-Elysées Chaos

Je me suis mêlée à la foule. Un type a ouvert sa chemise, la sueur ruisselait sur ses poils noirs. On entendait des jets de pierre, le vacarme des luttes finales, l’angoisse la peur pour le lendemain. Je me suis frayée un chemin entre deux blocs de CRS. La nuit dégoulinait de couleurs vives, des adolescents avaient fait exploser leurs bombes de couleurs. Les murs dégoulinaient de couleurs, mon mascara coulait allègrement. Je me suis mise à courir en tenant dans mon poing droit le reste d’une rose que tu m’avais offerte plus tôt, devant la station de métro Charles de Gaulle Etoile. Le soir était tombé sur nous comme une descente de police. Je me suis mise à pleurer. Je crois qu’un des nuages s’est dispersé et que la pluie a commencé à nous rafraîchir les idées. Alors je me suis penchée, ma robe rose était déchirée au niveau du genou. J’ai ramassé un caillou et je l’ai lancé en direction de l’Arc de Triomphe. Les voitures encerclaient la place de l’étoile. Les motards menaçaient de tomber à chaque fois qu’une Porsche glaces noires vitrées braquait vers les Champs-Elysées. Je ne sais pas combien de temps j’ai marché. Peut-être le temps d’une vie. Entre le moment où j’ai lâché ta main et celui où je me suis retrouvé perdue dans le tumulte du chaos, il s’était bien écoulé une demi-heure. Il m’a semblé voir un cheval noir dans la vitrine du magasin de luxe Gucci. Mais était-ce vraiment un cavalier qui m’a bousculé ? Je ne saurais le dire. Je me suis retrouvé les genoux nus sur le goudrons, ma robe rose remontée, la déchirure s’est accentuée. La foule m’a perdu des yeux. Il y avait un panneau publicitaire avec un verre de gin pétillant. J’en ai eu l’eau à la bouche. Mon rouge à lèvre avait disparu comme la lueur du jour. J’ai traîné jusqu’à la Concorde en regardant les grappes d’adolescents rire à gorge déployée sur mon passage. Je sentais que leurs regards me transperçaient, je n’étais plus sûre de rien, pas même d’être vivante. Je suis arrivée devant l’Elysée en nage. J’ai rajusté ma robe, et j’ai attendu comme une amante éplorée devant les lourdes grilles, qui ont fini par s’ouvrir. Comment, pourquoi, je ne saurais le dire. Je suis rentrée dans la cour du palais présidentiel en me déchaussant. Pieds nus sur les graviers, je vois des ombres à l’intérieur du bâtiment. Je suis à présent certaine que personne ne peut me voir. Peut-être mon corps repose-t-il au milieu des bombes de peintures, le crâne ouvert sur les Champs-Elysées ? La pluie m’a complètement trempée. Je pénètre dans le palais présidentiel sur la pointe des pieds. Je reconnais plusieurs visages, mais certains me sont inconnus. A cet instant précis, on entend un vagissement et le ciel se drape de noir. La nuit est elle désormais une réalité pour les manifestants ? Je me recroqueville sous un escalier en marbre, et j’écoute les pas des ministres aller et venir. Puis, je décide d’explorer les lieux. Je parcours des pièces vastes en enfilades. J’admire les meubles renaissance et les tableaux contemporains qui ornent les murs du premier étage. Dans une des pièces, un homme est seul. Je crois reconnaître le ministre des armées. Je me présente devant lui, en pensant que lui non plus ne peut pas me voir, mais il lève sur moi deux yeux pareils aux gouffres de l’oubli. Je me sens aspirée par son regard vitreux. Il se lève, me traverse, interrompt subitement sa marche, se retourne vers moi. Mon cœur bat à tout rompre. Je lève les yeux vers une épée qui trône au-dessus d’une cheminée en marbre. Je me penche et la soulève. Puis, une fois le ministre parti, j’ouvre mon poing droit. Les pétales séchées de la rose que m’a offerte mon petit ami sont dispersées dans le vent ; la fenêtre ouverte répand les pétales sur le tapis vert du centre de la pièce. Dans ma main gauche, l’épée pèse lourd. Je me décide à quitter la pièce. On entend une musique bruyante dans la pièce d’à côté. Je jette un coup d’œil à l’intérieur. Il y a un conciliabule qui se tient juste devant moi. Quelqu’un prend une photographie. Je quitte le palais alors que la pluie a cessé ; l’épée traîne derrière moi. Je me dirige à nouveau vers la Concorde, puis vers les Champs-Elysées. Personne ne me regarde. Il doit être quatre heures du matin quand j’arrive enfin devant un des magasins de luxe. Une petite fille me dévisage. Je lui fait un sourire (peut-être est-elle elle aussi un fantôme ?) et je frappe un grand coup d’épée sur la vitrine du magasin de prêt-à-porter. J’arrache des cintres plusieurs vêtements qui brillent de mille feux. Je sors avec les habits en monceaux de paillettes dans mes bras nus et je les distribue à chaque coin de rue. Le matin se détache de la nuit comme le stuc d’un plafond mal entretenu…

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