Crypto (3)

Une photographie, sur la table, prenait la poussière. L’Allemand s’en saisit et la caressa. La lumière filtrait péniblement à travers les stores à demi-fermés. Des manteaux de fourrure pour homme s’amoncelaient sur la couverture rose défaite du canapé-lit où il devait passer ses nuits. Prince eut un mouvement de recul. Au moment où il allait s’en aller, l’Allemand, qui semblait saisir le moindre des mouvements, se retourna et lui agrippa le bras.
— C’était la femme de ma vie, et je l’ai perdue.
Prince eut l’impression qu’il allait pleurer. Il regarda de plus près la photographie. Une jeune femme blonde souriait à l’avenir, mais, se dit l’adolescent, l’avenir c’était lui et le vieil Allemand, seuls en banlieue newyorkaise, à écouter du mauvais jazz en réfléchissant à la meilleure manière de devenir multimillionnaires. Prince se sentit mal pour la jeune femme de la photo, elle avait un regard si… angélique, si distrait, elle devait être à mille lieux de préoccupations aussi triviales que celles qui badigeonnaient l’esprit de l’Allemand et le sien. Fatigué, Prince poussa les manteaux sur le canapé et s’assit. Il soupira. L’Allemand semblait plongé dans une sorte de torpeur, à n’en plus finir de regarder la photographie qui lui souriait, à sourire à la jeune femme blonde. Prince le regardait, l’Allemand se perdait de plus en plus et les minutes passaient sans que l’un deux ne sorte de cet état figé, alors Prince se leva. Il se dirigea vers la cuisine de l’Allemand, qui sentait le chat mouillé, et se fit un café. Sur le frigo, une affiche rédigée dans des caractères qui lui semblèrent magnifiques attira son attention.
— Du karaté. Tu aimes les arts martiaux ?
Prince sursauta. L’Allemand, qui n’avait pas lâché la photographie, se tenait dans la cuisine derrière lui.
— Qui t’as dit de te servir ?
— Je…
— Je plaisante. Mia casa su casa. Whatever. Ich meine, dass… Mais tu ne parles pas allemand ? Ach, der Jungs ist so komisch… Tu es étrange, petit. Mais je t’aime bien, décidément. On s’y met ?
Ils s’assirent derrière la rangée d’ordinateurs derniers cris installés dans le salon de Satoshi – le garçon s’était mis à l’appeler Satoshi, comme il le lui avait demandé -.
Satoshi pianota quelques instant sur l’ordinateur le plus à droite. Prince plissait les yeux. Des chiffres défilaient devant ses yeux sans qu’il n’y comprenne rien.
— Toi qui aimes les langues, c’est un langage d’un genre tout à fait particuliers.
— Un langage ?
— Un langage informatique, du code.
— Du code ?
— Dans une autre vie, j’étais ingénieur. En informatique. On cryptait des documents, pour les sécuriser.
— C’était votre métier ?
— J’ai eu plusieurs vies.
Le regard de l’Allemand était à présent dirigé vers un sabre japonais qui trônait au milieu du mur bordeaux du salon. Un des ordinateurs clignota, et l’Allemand trépigna. Prince se demanda quel pouvait être le lien entre une arme exotique et une jeune femme à l’air distrait.

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