Le job

J’étais assis sur un tas de filets de pêche, à essayer d’ouvrir une boîte de conserve qui me résistait. Mon patron était parti fumer dans le hangar, j’étais tranquille, enfin pour quelques minutes que je comptais bien mettre à profit pour ne rien faire. J’étendis mes jambes, mon mollet droit heurta une pierre. Un gamin jouait devant moi, il avait l’air stupide et puis hargneux et je regardai la pierre, qui était plutôt un ballon de football dégonflé. Je le lançai dans le sens inverse au gamin, m’esclaffai, ayant la satisfaction de le voir s’époumoner pour rattraper son engin de malheur.

Le soleil faisait une descente de police sur notre bâtiment. Les fenêtres semblaient onduler sous la chaleur. La chaleur me piquait les yeux, un oiseau ne me les aurait pas crevés plus profonds. Je soupirai, allumai une cigarette puis lassé de fumer, l’éteignit presque aussitôt. Il était tôt, trop tôt pour travailler et porter ces parpaings. Mon dos me faisait encore mal à cause de la journée d’hier, et je serrai les poings. “Je dois quitter ce job misérable”, je me chuchotai, mais personne ne m’entendit excepté un goéland qui largua une déjection sur mon épaule gauche.

Je tenais à ma veste, mais plus encore à ma dignité et je me débarassai de la veste près de tonneaux. De toute façon, le soleil s’apprêtait à monter au zénith, le ciel se fardait de rose, comme pour nous faire oublier l’âpreté du travail à la chaîne. Je descendis trouver mon chef dans le hangar noir. Il hurlait sur un type de petite taille, grands yeux noirs écarquillés et tremblant comme une feuille.

A quoi bon provoquer le diable en reste ? Avisant un sandwich qui avait été laissé là par un autre collègue, je m’en emparais pas mieux qu’une mouette voleuse et je débarassai le plancher. UNe fois dehors, je mis mes bras perpendiculaires à ma taille. Je courus ainsi, intoxiqué par les odeurs d’iode et de pétrôle, rendu fou par la liberté. Je n’avais pas de voiture, aussi dus-je rejoindre le centre-ville à pieds, ce qui me permit de réfléchir à ce que j’allais bien pouvoir trouver comme excuse auprès de ma mère. “Je ne veux pas être l’esclave de ces Dieux qui ont décrété que nous devons trimer comme des chiens” lui dirai-je, en lorgnant sur le visage rempli de mépris de ma mère. Et puis je ferai mes valises, je m’en irai comme un chien, savourer la liberté durement acquise, et trouver un nouvel emploi qui soit à ma hauteur — mais lequel ? 

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