Men hvor ‘er vi ? (Mais où sommes nous)
Cette ville est un mirage. Les oiseaux de passages dévorent tous les scintillements de la chaussée. La terre tremble sous les roues des 4X4. Il pleut des gouttes de givre, une pluie tintinnabule sur les pavés.
La mousse de lichen pousse de ci de là. Je n’ai pas remarqué quand la rue avait été laissée à l’abandon. Un elg (élan) se met à courir devant moi, il barre la route à ma voiture. Je pile. Les nuages semblent épuisés. Ou bien ne sont-ils que le reflet de mon état désastreux ?
Det sn∅r nå `igjen (voilà qu’il neige à nouveau) !
Les rues sont trempées de boue. Les magasins ferment leurs volets, il doit être tard déjà. J’ai traîné au bureau, Solveig voulait que je regarde sa jupe plissée. Elle n’a pas dit exactement ça, mais… Elle n’arrêtait pas de faire des aller-retours jusqu’à ma table en formica. Je pianotais avec mon crayons, je pensais à la charcuterie que j’allais m’enfiler ce soir. Ce job… encore une erreur, et j’aurais mieux fait de rester quelques mois de plus chez ma mère.
Mon appartement se situe dans le quartier chic de Bjørvika. Je longe l’avenue Snøhetta, je dépasse le Parlement de Norvège. La rivière Alna est joliment habillée de lumière ce soir, les réverbères lui font une cape brillante. Je plonge mon regard dans le brouillard qui s’est infiltré partout en ville. La neige s’est arrêtée. Elle reprendra sans doute cette nuit. Le ciel commence déjà à se décolorer. Il a pris des teintes grises marron et roses. Je soupire et essuie mes Ray-Bans Clubround pour homme écaille de tortue. Mes lèvres sont sèches. J’allume l’autoradio.
La voix de Whitney Houston s’échappe par ma fenêtre ouverte :
Stay in my arms if you dare
Or must I imagine you there
Don’t walk away from me
I have nothing, nothing, nothing
If I don’t have you, you, you, you, you
Le givre a recouvert la plupart des arbres. Certains semblent trembler dans le crépuscule en agitant leurs branches les plus hautes ? Est-ce que je rêve ? Il m’a semblé voir un chien noir se lever et prendre l’apparence d’un vieil homme. Je me frotte les yeux, je suis sûrement un peu à côté de la plaque. Whitney chante plus doucement, j’ai baissé le volume, et je réfléchis à l’amour de ma vie qui m’a glissé entre les doigts.
Moi, je m’appelle Torstein, je suis célibataire, je crois que je l’ai toujours été, même quand j’ai failli me marier plusieurs fois, même quand une fille a débarqué chez moi pour empiler ses cartons dans mon appartement. Je suis amoureux de mon amie d’enfance, mais Astrid me prend pour un fou et un type ennuyeux, elle habite Oslo, mais je la vois de moins en moins. Elle travaille beaucoup. Ses parents sont des types de médecins horriblement intransigeants, ils l’ont mise en garde des quantité de fois contre moi.
La seule respiration au milieu de toutes ces journées qui se ressemblent, c’est quand je reçois un message d’Astrid. Nous ne nous voyons plus guère désormais, elle travaille sans cesse, enfin du moins, c’est ce qu’elle dit. Elle est avocate dans un grand cabinet d’Oslo qui s’occupe de, je crois, de droit pénal quelque chose dans le genre ; c’est une fille tellement brillante je ne peux m’empêcher de l’admirer, même en pensant à elle comme cela, prostré tout seul dans ma bagnole, j’ai les yeux qui luisent comme deux phares de moto, c’est fou ce que l’amour peut vous faire.
Ces jours-ci Astrid est d’autant plus prise qu’elle a gagné sa dernière affaire, on lui a décerné une espère de médaille pour cela, la médaille de l’éloquence ou quelque chose comme cela. J’en ai eu un pincement au cœur quand je l’ai appris par les réseaux sociaux, parce que mon travail n’est vraiment pas reluisant, je suis gratte-papier depuis deux mois, je perds toujours ma place à cause de mon caractère sanguin.
Et ce soir dans la touffeur insupportable de la nuit noire, alors que je réfléchis qu’Astrid ne m’aimera jamais car je suis un pouilleux, je vois un objet tomber devant ma voiture. Je claque la portière, le vent gelé s’engouffre dans ma nuque ; je tremble, j’ai l’air d’un fou je suis en chemise Armani à carreaux rouges et noirs dans la rue. Le ciel est un peu laiteux, il commence à repleuvoir, je me baisse et je ramasse la forme rectangulaire d’un objet qui s’avère être un livre en partie déchiré.
Une fois la voiture garée dans ma rue sous la neige, le livre sous le bras, je remonte chez moi. Avant d’avoir pu atteindre ma porte, la voisine d’en face ouvre sa porte à la volée. Elle porte une horrible nuisette violette, un chemisier beige à petites fleurs bleue ridicule. Ses cheveux roux colorés en salon et tressés sont remontés sur sa nuque avec une énorme pince noire. Sa grosse mâchoire s’agite quand elle me sourit, un sourire de chèvre. Elle entrouvre ses petites lèvres vicieuses et je la vois froncer les sourcils, elle doit se demander pourquoi son voisin raté rentre si tard. Je me dépêche de faire un mouvement de la tête à peu près poli pour la saluer, puis je rentre la tête puis le corps entier à l’intérieur de l’appartement. J’ai juste le temps d’entendre cette vieille bique trémoler à son mari « han drikker for mye » (il boit trop) moi qui ne boit presque jamais sauf hier et peut-être avant-hier aussi quand j’ai reçu le message d’Astrid m’indiquant qu’elle était désormais une célebrité et donc hors de ma portée.
Je m’assois à ma table et la solitude s’abat sur mon comme un gifle. Je me rappelle de mon père et des siennes de gifle, et il me semble qu’à cet instant, je préfèrerai être battu comme plâtre plutôt que seul dans cet appartement au-dessus de mes moyens que ma mère paye. J’ouvre la fenêtre, tant pis si la neige s’invite sur le tapis, j’ai besoin d’air frais. Soudain, je me souviens que j’ai ramassé un déchet dans la rue, qui s’est avéré être un livre, alors je consulte mon butin et mon cœur se soulève dans ma poitrine.
Il s’agit d’un manuel, une sortie de cours pour écrire des romans policier. Je pense à Astrid, puis au vent qui s’engouffre dans la pièce, puis je regarde l’ampoule qui menace de s’éteindre et qui grésille depuis mon retour. Je me vois en costume bleu foncé à une estrade, faire la promotion d’un livre qui pourrait s’appeler « Mort et sang à Oslo : le crime est dans la ville », ou bien « Déluge de sang sur la neige », quelque chose comme ça. A la manière d’un grand écrivain, je me passe un stylo qui traînait sur la table entre deux miettes de pain sur les lèvres. Je réalise qu’il faut que je m’achète du baume à lèvre, que je prenne soin de moi, si je veux conquérir le cœur d’une jolie fille (Astrid étant une inaccessible étoile).
Je n’ai rien d’autre à faire alors je parcours le manuel, mais il me tombe rapidement des mains. Je vais me coucher sans avoir plus avancé que cela sur mon projet de roman policier. Je sais que j’ai oublié de refermer la fenêtre du salon et que la tempête va s’en donner à cœur joie mais je tombe sur mon lit, je ferme les poings ; le livre git à demi-ouvert sur la couverture matelassée vert militaire, et je m’endors comme un ange.
Quelqu’un tambourine à ma porte, je me réveille d’une humeur de chien le lendemain. Le livre est tombé par terre, le tapis du salon est une petite piscine glacée. C’est ma mère, elle me dit en avalant les syllabes :
Hva er `klokken (quelle heure est-il ? )
A quoi je lui répond que je sais que je suis en retard au travail. Je vais devenir un grand écrivain, de toute façon. Elle me donne une petite tape sur le menton, puis recule. La voisine ouvre sa porte, salue obséquieusement ma mère et ne se prie pas pour écouter la suite de notre conversation :
Og som `vanlig er `du ikke ` ferdig (Et comme d’habitude tu n’es pas prêt).
Je fais entrer ma mère dans le salon, je l’entends balbutier quelques commentaires revêches à propos du tapis et de la fenêtre ouverte, qu’elle se hâte de fermer, et je m’engouffre dans ma salle de bain.
Je suis nu comme un vers sous un rideau d’eau brûlante. Le visage d’Astrid est encore fichu de travers dans ma poitrine, il apparait sur la glace derrière moi, sur le marbre blanc de la douche devant moi. Je réfléchis à la manière la plus efficace pour mettre ma mère dehors.
Une fois devant elle, je ne réussis pas à la congédier, alors je l’écoute se plaindre qu’elle m’a appelé une petite dizaine de fois. Je soupire trois fois, elle cinq, elle finit par partir en oubliant son fichu bleu et jaune à carrés.
Je décide de terminer ma lecture de la veille, tant pis pour le travail, un de perdu dix de retrouvés. A part que le pays est dans une situation délicate niveau emploi ces temps-ci et que je risque de devoir mendier encore auprès de ma mère. Frigorifié par cette perspective, j’allume mon ordinateur et je commence à pianoter le début de mon roman policier ; j’écris environ deux lignes et demie, puis satisfait, je me passe la langue sur les lèvres.
Pour ne pas en faire trop, je décide de faire une pause, je me rends à la pharmacie et m’achète un baume à lèvres pour femme. L’emballage est spartiate mais pas le prix. Je règle, je hausse les épaules, et je décide de faire une balade dans Oslo pour trouver l’inspiration.
Le ciel est bas, en passant devant l’Opéra de la ville, je vois un policier mettre un PV à une voiture plutôt élégante, le propriétaire est à côté du flic et semble désespéré de se faire entendre. Je regarde les nuages sombres qui n’annoncent rien de bon, et mon cœur se serre : je me sens solidaire de ce brave policier, lui et moi partageons la même haine du peuple. J’hésite à aller lui serrer la main, lui dire que je comprends son difficile labeur, que lui et moi œuvrons contre le crime de la capitale de Norvège. Mais je n’y vais pas, parce qu’après tout je n’ai écrit que deux lignes, c’est trop peu. Mais je prends la résolution désormais d’éviter de me garer comme un contrebandier n’importe comment ce que je faisais un peu trop souvent jusqu’alors.
Je marche les yeux rivés dans mes pensées, en essayant de décider d’un nom pour mon criminel. Et si le criminel était le héros de mon roman ? Je lève les yeux au ciel, le vent me brûle un peu les paupières. Il y a un café avec des guirlandes éclairées devant moi. Je connais la petite brune qui vient à ma rencontre, c’est une amie d’Astrid, nous nous embrassons un peu trop longtemps à mon goût puis elle se détache enfin de son étreinte venimeuse
— Astrid est avec toi, je lui demande.
Elle fronce les sourcils. Sa bouche est peinte dans une teinte qui s’approche du cassis, mais du fruit trop mûr, et je me demande qui est son fournisseur de maquillage. Je me dis aussi que je la verrais bien dans un film classé pour adulte, mais la voilà qui me répond :
— Elle est dans le café, va la voir.
Mon cœur bondit dans ma poitrine, j’ai tous les symptômes de l’angoisse et de la passion. Mes yeux s’humidifient, mon flux sanguin s’intensifie, je vais enfin voir celle qui éclaire mes nuits entre toutes, mais à ce moment-là je vois une silhouette que je connais s’avancer vers moi et me saluer.
J’ai l’impression que l’enthousiasme d’Astrid pour notre rencontre diminue quand je lui dit que j’ai lâché mon nouvel emploi. Une sorte de neige fine et instable commence à poudrer nos joue, j’accompagne les deux amies dans le café. Je n’arrive pas à me décider entre les différents whisky, finalement j’opte pour un gin, la boisson des écrivains, comme je me rappelle soudain que mon statut a changé.
Comme un boulanger, je tartine mon histoire de roman d’une épaisse confiture de mensonge. Astrid ne semble pas tellement impressionnée, mais qu’à cela me tienne, j’invente même le nom de la suite de mon roman, les tomes deux et trois que l’éditeur sera tellement pressé de m’acheter. C’est elle qui part en premier, je n’ai pas encore fini mon verre, j’en pleurerais qu’elle parte et je n’arrive plus à parler quand elle me souhaite bonne chance. Je reste planté dans le café le regard plongé dans le gin, à essorer mon citron comme un meurtrier un crâne d’enfant.
En rentrant je me trouve vain, bredouille, idiot, et cette fois, la porte qui s’ouvre à la volée devant moi n’est pas celle de la voisine d’en face, mais celle d’une autre voisine, plus vieille encore et que je ne vois quasiment jamais. Elle sort sur le pas de sa porte enveloppée comme un oiseau de proie de mauvais augure dans une épaisse cape noire avec capuche ce qui lui donne un air comique, puis elle m’attrape le bras ; elle m’entraîne dans son salon, je n’arrive pas à reculer, la vieille est trop puissante, ses yeux trop fiévreux et trop maléfiques.
Vær så snill å hjelpe meg (sois gentil de m’aider), dit-elle en poussant vers moi un kvaefjordkake, ce genre de gâteau style génoise, surmonté de meringue et d’amandes, et garni de crème vanillée qu’on voit partout. Elle a mis des fraises découpées en petits morceaux dans une coupelle. La télévision passe une messe, je me demande si la vieille croit en Dieu, après tout cela ne me regarde pas. Je regarde quand même ma montre pendant qu’elle s’éclipse pour faire du café. J’ai prévu de passer la soirée sur mon roman et la vieille me détourne de mes ambitions.
Je regarde autour de moi pendant qu’elle n’est pas là, pas un bouquin, ce n’est certainement pas avec elle que je pourrais fêter ma gloire littéraire une fois mon livre publié. Je soupire. Astrid semblait si distante tout à l’heure. Je vois ses boucles dorées dans l’encadrement de la fenêtre, avant de réaliser qu’il ne s’agit que du reflet timide du soleil sur la vitre. Je souris à l’amour que j’éprouve pour elle. Oui, tout ira bien, ce n’est qu’une question de jours avant qu’elle ne se rende compte que nous sommes fait l’un pour l’autre. Tout ira bien, puisqu’il faut que tout se déroule comme prévu, que j’écrive ce crime horrible, en faisant couler le sang comme l’encre. Mais à ce moment-là, quand pour la première fois de la semaine, mes espoirs de voir un jour Astrid à mon bras rire augmentaient, la vieille revient dans la pièce. Elle a eu le temps de se changer et avait passé un chemiser violet sombre avec des dentelles aux manches. Elle me sourit, découvrant une dent noire, et me dit :
— Vær så snill å hjelpe meg (sois gentil de m’aider). C’est la voisine. Elle a disparu. Faut que tu m’aides à savoir ce qui lui est arrivé.
La messe continua un long moment avant que je ne me décide à ôter la cuillère en cuivre de ma bouche, à laisser de côté la génoise et à regarder ma voisine. Ainsi, la chèvre a « disparu », et c’était à moi qu’on confiait l’enquête regardant son enlèvement ou sa séquestration ?
Etant nouvellement écrivain, et auteur de romans policier, cette promotion dans la voisinage n’avait rien pour me déplaire. Je demandai de plus amples renseignements à ma voisine, suite à quoi je m’étirai comme un chat pouilleux et rentrai en ronronnant de joie dans mon appartement. Effectivement, la porte de ma voisine chevrotante ne s’ouvre pas quand je passe le pas de la porte. J’attends pourtant une fraction de secondes. Qu’a-il bien pu lui arriver ? Au lieu de coucher sur le papier ce qui aurait pu être le prochain chef-d’œuvre de la littérature norvégienne, je médite en regardant les feuilles d’arbres collées par la pluie à ma fenêtre sale. Demain, il me faudra toute mon énergie pour mener l’enquête, et je m’endors comme frappé par une matraque.
Quand je me réveillai, la neige avait recouvert la majeure partie d’Oslo. Ma cafetière aurait eu besoin d’un détartrage, elle prenait un temps infini à faire goutter le précieux liquide, et j’en avais par trop besoin, j’étais fatigué comme un maître-nageur après cinq noyades. Qu’avait-il bien pu arriver à ma voisine ? En réfléchissant à l’ironie de ma situation (jeune écrivain de romans policier et désormais enquêteur sans badge), je croquai dans une biscotte tartinée de marmelade. Je manquai m’étouffer avec la biscotte, quand je compris là où j’avais fait fausse route. J’avais cru les dires de ma voisine sur parole. Mais peut-être notre voisine commune n’avait-elle pas réellement ? Certain d’être sur une piste fabuleuse, je me levai d’un bond, oubliai le café et enfilai rapidement mon pardessus.
En sortant de mon appartement, je remarquai que mon téléphone avait sonné trois fois. Mon cœur bondit dans ma poitrine quand le numéro d’Astrid s’afficha. Mais je devait me montrer digne d’elle, et si je n’étais pas capable d’aligner trois phrases de roman, je pouvais du moins résoudre l’une des enquêtes les plus compliquées d’Oslo. Je passai devant une poissonnerie et la commerçante me jeta un regard noir. Je remarquai que je n’avais pas pris le temps de me raser et je priai pour ne pas croiser Astrid à l’improviste. Quelques mètres plus loin, un vieux chien sale reniflait dans une poubelle. J’eus de la pitié pour l’animal, le reconnaissant comme mon prochain, et je lui lançai un bonbon à la vanille que je gardais en poche depuis Mathusalem.
Où commencer mes recherches ? Où peuvent donc bien se rendre les vieilles voisines en manque d’aventure ? Me demandant si Madame Norge, cette voisine, était religieuse, je réfléchis à la présence d’un monastère dans la région. Mais il me semblait peu probable qu’elle fut religieuse, sa mise indiquait plutôt qu’elle soutenait le Diable dans ses activités. Comme je manquai de preuves, je résolus de faire une petite visite à son appartement. Je retournai à mon immeuble. Sur la pointe de pieds, avec une carte de crédit périmée, je réussis à entrouvrir sa porte. Quelle ne fut pas ma surprise de voir dans l’appartement pas moins… D’une trentaine de chats. Certainement, Madame Norge n’avait pas pu aller bien loin. Si elle aimait autant ces animaux qui sentaient l’âne mort et baguenaudaient fièrement désormais entre mes jambes de pantalon, elle reviendrait. Mais quand ?
Sur la table de son salon, je vis une photographie. Un jeune homme, que je reconnut pour être l’un des acteurs les plus en vue d’Oslo. J’entendis du bruit et me figeai sur place mais ce n’était qu’une autre voisine qui montait ses courses chez elle. J’hésitai un instant. Devai-je véritablement poursuivre mon enquête ? Il allait de soi que je réussirai à découvrir la vérité, mais Astrid venait de m’appeler et… La tentation était trop forte, je rappelai la femme de mes rêves en tremblant.
— Non, je ne t’ai pas appelé ?
Astrid avait disait-elle fait un faux numéro. Je me laissai tomber dans le fauteuil molletonné de la disparue, et réfléchit à l’inconséquences des relations humaines. Ainsi, je remuai ciel et terre pour l’amour d’une femme, et cette ange ingrate n’était pas capable d’avouer qu’elle n’avait su résister à la tentation infernale de me téléphoner. Je grinçai des dents, sur le point d’abandonner mon enquête, quand le bruit d’une clef passée dans la serrure me remit de mes émotions. Je me cachai derrière une armoire et observai la scène qui se présenta devant moi. Madame Norge entraînait le jeune acteur de la photographie sur le lit. J’étais horrifié, et me glissai dans le couloir sur la pointe des pied, puis me mit à courir à perdre haleine. En tout cas, mon enquête était bien terminée… Madame Norge avait certainement passé quelques jours chez son amant.
Je cheminai le dos courbé jusqu’au café où j’avais croisé Astrid plus tôt dans la journée en soupirant, et sortit un carnet de ma poche. J’y gribouillai quelques lignes, qui ressemblaient, je crois, à un poème. Puis, résolus de ne pas payer pour le café que je venais de boire en vitesse, je laissai le poème en guise de paiement sur la table et m’en fut.
Quelqu’un, quelque part, retrouvera ce poème. Il y lira, dans des vers maladroits, mon sentiment pour Astrid. Le ciel n’aura pas bougé, les nuages défileront à la même vitesse, mais moi je serai loin, à échafauder un énième plan fantastique pour séduire la femme que j’aime. Je marcherai les bras croisés, jusqu’à ce que la vieillesse m’entraîne dans son ombre, et je réfléchirai autant que mon cerveau romantique me le permet à ma prochaine entreprise. Si je dois tourner un film et engager pour cela tous les bandits d’Oslo je le ferai. J’ai déjà réussi à retrouver une disparue, et à écrire un poème qui se retrouvera peut-être un jour sur les lèvres de tous les écoliers norvégiens. Non, si je dois recommencer à échafauder des plans désastreux, je le ferai. Rien n’est plus beau que de se ridiculiser pour réaliser un rêve.
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