Tchétchénie. 1990.
Sous l’abricotier, c’était l’hiver.
Je n’ai pas oublié la chemise de lin déchirée
Que portait l’officier au milieu du brouillard,
Quand il a refusé de tous nous tuer
Sa redingote brune et rouge,
Les fleurs massacrées par le vacarme,
Sous l’abricotier, c’était un déluge de lumière,
Le ciel enrageait de nous voir enchaînés les uns aux autres.
L’officier a jeté ses armes
Sous l’abricotier, au milieu des fleurs blanches,
Un homme en noir a fusillé son refus. Le hameau s’est vidé de son âme
Mon pandor (instrument de musique) a fait vibrer les étoiles
L’herbe a perdu son parfum de violettes,
Et j’ai enterré l’officier selon nos rites
Près de l’abricotier, sous une pluie de fleurs blanches,
J’ai mis de l’eau-de-vie dans sa tombe
Une lame de bois est restée fichée en terre,
Elle portait une flamme blanche et rouge
Les fissures de la tombe se sont lamentées
Le givre a recouvert l’horreur, le ciel a changé de couleur
Les paysans ont repris leurs semailles pour Dieu
L’été suivant, un concours de tir a eu lieu,
Des enfants jouaient sur le muret bleu, près de l’abricotier,
Le fantôme de l’officier a fait la courte échelle à l’un d’eux
Le tonnerre a retenti –
Le prince de Kabadie était là, lui aussi
Son spectre a acclamé le sacrifice de l’officier
Le vent s’acharnait à arracher nos cils
L’abricotier a pleuré, dans la nuit rouge,
Les ogives tombaient comme des sermons
Le molla nous a cachés dans la mosquée,
J’ai regardé le ciel depuis les fenêtres – en silence