La nuit s’abat comme un coup de poing
Qui a vu le jour s’enfuir ?
Il emportait le printemps avec lui
Déjà le vent prend possession des lieux
Au milieu des collines pâles
Une lueur dans l’obscurité
Le berger reste éveillé tard
Les loups rôdent dans les environs
On entend une chouette hululer
Et le soleil ronfler en dormant
La nuit a dévoré tous les sons
Les moutons dorment profondément
Un éclair frappe l’intérieur de la bergerie
Un éclair ? Non, c’est une lampe torche
Ludovic le mouton la tient entre ses dents
Mais pourquoi ne dort-il pas ?
Sur le mur de la bergerie
Une photographie en noir et blanc
La tour Eiffel drapée de nuages
Elégante dans son manteau d’acier
Qui a accroché cette photographie ?
Les moutons rêvent de prairies ensoleillées
Mais Ludovic éveillé rêve de Paris
Quelle mouche l’a donc bien piqué ?
Le lendemain Paul le petit berger s’étire
Les nuages sont gonflés de joie
Le jour se lève sur la bergerie
Mais un mouton manque à l’appel
Ludovic est déjà loin
Il a rempli d’herbe un baluchon
Paris est encore hors de vue
Quelle mouche l’a donc bien piqué ?
« Je veux visiter Paris avant la prochaine tonte
J’ai des rêves, moi, Madame »,
Bêle-t-il à l’adresse de la lune
Elle qui s’efface pour laisser le soleil briller
Un corbeau lui indique le chemin
Près d’un arbre brillant de feuilles
Ludovic halète en bêlant
Et mâchonne quelques herbes seulement
Dans la bergerie, c’est l’heure de compter le troupeau
Le petit berger n’en croit pas un mot,
Ludovic se serait enfui ?
Il n’en revient pas, c’est inouï
Remue-ménage sur les collines,
Paul a demandé à tous les oiseaux
De lui indiquer la trace du fugitif
Mais seuls les corbeaux lui ont répondu
Il ferme la bergerie à clef
Les moutons seront bien gardés
Par Pataud son fidèle berger
Le voilà qui enfourche son vélo
A travers champs, sous l’océan de ciel
Pas une trace de Ludovic
Le mouton est-il vraiment en route pour Paris ?
Paul le berger n’en croit pas ses oreilles
Ludovic allongé dans un train de marchandise
Est pourtant bien loin de la bergerie
Il regarde les champs défiler
Où va ce train, se demande le passager
Il s’endort, le train file, la nuit tombe,
Les étoiles lui caressent les oreilles
De leur lumière ensorcelante
Ludovic se réveille, le train s’arrête
Est-ce donc ici, que la dame de fer
A élu domicile, sur ces terres ?
Ludovic se met au trot
On n’y voit rien, la nuit est de trop
Sa lampe torche entre ses dents
Il cherche la silhouette de la tour en râlant
Le train m’a emmené loin de Paris
Loin de mes amis, loin de la bergerie
Et il s’endort en bêlant de déception
Allons, voyager, pour un mouton,
Se dit-il en rêvant, quelle aberration
Mais déjà la lune cède le ciel au jour
Ludovic ouvre l’œil droit
Et bondit sur ses quatre pattes
Il n’en croit pas ses yeux
Devant lui scintille l’océan
Une prairie, des moutons blancs
Et au-delà l’écume qui mousse
Les vagues qui égratignent le ciel
Ludovic se frotte les yeux
Il a déjà oublié ses compagnons,
Paul, la photographie de Paris
Et les collines aux reflets d’argent
Il trottine vers l’océan
« Voyager, pour un mouton,
Ce n’est pas une aberration,
Je vais m’établir sur ces terres
Avant ma prochaine aventure
Et contempler cette prairie bleutée
Avant de repartir, de voyager »
Et le voilà qui pose son baluchon
Au milieu d’autres moutons.