A l’ombre d’un bougainvillée, l’océan pleurait de chaudes larmes
La nuit avait chuté comme une trapéziste, violemment, sur les sables de l’île
Les ananas Victoria empilés sur les étals comme des soldats trempés par la pluie,
Les voix des marchands font encore écho en moi.
Le jus de tamarin ne rafraîchit pas autant que l’eau de coco fraiche
Bue sous les banians géants à la pointe des Régates à Mahébourg.
Dans ce pays aussi les montagnes sont fières, elles se dressent à partir des champs de cannes
Et crachent une fumée obscure sur un ciel étincelant ;
A 100 m du sol, j’ai pris une tyrolienne entre la vallée Mourouk et Rodrigues.
J’ai plongé seule dans l’océan je me suis retrouvée nez à nez avec les anges de la mer :
Un baliste léopard et un poisson-étendard nageaient parmi les coraux.
Le soleil brûlait ma conscience, tu me regardais depuis le rivage
Je me suis évanouie au milieu de l’océan et tu as plongé pour me récupérer
Mais tu ne pouvais pas supporter le courant alors j’ai ouvert les yeux
Et j’ai agrippé fort une des roches de la Pointe d’Esny,
Le jour déclinait, il allait faire nuit, j’ai secoué mes cheveux pleins de sable et de sel
L’usine sucrière derrière l’hôtel crachait des bourrasques de fumée noire
Le fantôme de la reine Victoria est entré dans notre chambre et a froncé les sourcils.
Mais je n’ai pas eu peur, tu étais dans mes bras, et la lumière s’est mise à clignoter
Alors le fantôme est reparti hanter d’autres amants et se terrer dans l’hôtel du gouvernement
Voyageur, réveille-toi, je t’emmène sur les traces des fantômes de l’île Maurice
Dans le Blue Penny Museum, on trouve plus de timbres rares que je n’en aurais jamais pour toi
Tu m’autorises à en voler à la nuit tombée ?
Je veux te voler le Two Pence à l’effigie de la Reine Victoria
Je te présente d’autres fantômes qui hantent Maurice, tu les connais sans doute,
Elle s’appelle Virginie. C’est elle qui dans le roman qui porte son nom s’est noyée dans l’océan
De peur d’ôter sa lourde robe devant l’homme qu’elle aimait
Et qui l’attendait à terre devant la tempête
Voyageur, est-ce qu’on pourra être heureux et ne pas se damner comme les fantômes de cette île ?
Je suis quelqu’un de simple, j’ai juste envie de toi,
D’un peu de sable et de poésie
Et si les fantôme t’ennuient, je saurai les faire fuir
La statue d’un autre fantôme, Mahé de Labourdonnais,
Epie depuis l’entrée du port, autour de la place d’armes.
La Duke of Edinburgh avenue est bordée de maisons créoles,
Elle est défigurée par les vitrines des banques.
Je visiterais bien le musée de la photographie. µ
Allons essayer d’y semer tous ces fantômes grâce aux instantanés.
Dieu que Maurice était belle sur ce sépia du 19ème
Et que j’aimerais remonter le temps pour t’y emmener
Voyageur je t’aime, je l’ai écrit ailleurs
« notre relation n’en finissait pas par montrer des poses de plus en plus ambiguës ».
C’est peut-être ça l’amour, des photographies qui évoluent,
Jusqu’à ce que leur encre finisse dans un musée ?
L’ile Maurice a été le premier pays de l’hémisphère sud à avoir accès à la photo.
Les derniers fantômes chez qui je t’emmène sont deux passionnés de photographie.
Ce sont eux qui ont bâti ce musée de leurs mains. Tu vois ce daguerréotype ? Il appartenait au fondateur du musée, Tristan Bréville.
Aujourd’hui, son fantôme et celui de son épouse ne se montrent qu’aux amoureux de la photographie.
Est-ce que tu m’autorise à te prendre en photo, même de loin, sous la brume, derrière les filaos ?
Un cheval vient de passer à toute vitesse, tu t’es retourné, et j’ai capturé ton sourire.
Le théâtre de Port Louis a fermé, mais les danseurs de rue continuent à amuser la galerie.
Les balcons sont en fer forgé, de grosses mains de femme les agrippent pour regarder la parade
Fondons-nous dans les fumées et la foule mon amour, et s’il y a trop de bruit et d’odeur,
Respirons les épices près de la mosquée du quartier chinois où des hommes d’affaire en costume cravate défient le soleil ravageur.
Faisons l’amour en haut de la citadelle qui domine Port Louis.
Personne n’osera nous retrouver tout en haut des marche, la plupart des touristes s’arrêtent bien avant.
Mais au moment où je pleurais parce que tu me faisais l’amour sur les rochers, une lumière a éclairci la nuit
Et une voix grave s’est mise à raconter une histoire en créole mauritien.
Je me suis blottie contre toi, encore ravagée par le désir et nous avons écouté l’histoire du conteur,
Pendant qu’il passait sa lampe torche dans le ciel comme un fou à lier bat des mains
Loin du château du Réduit où dort le Président de la République de Maurice, accompagne-moi au jardin botanique,
Allons admirer le manioc du Brésil apporté par les bateaux qui ont fait escale à Port Louis.
Le 18ème siècle a amené le poivre, la girofle, la muscade et la cannelle dans l’ile
Mais mon odeur préférée est celle de ta poitrine.
Nous avons pris un thé près d’une plante à fleur ornementale,
Derrière la maquette d’un bateau et nos yeux se sont noyés dans le soleil d’août.
J’ai pris ta main, mes doigts caressaient les tiens entre les allées de palmiers, lauriers et fougères.
Les bougainvillées semblaient rire, ou était-ce le bruit du vent ?
Dans le château de Mon Plaisir, les personnalités ont été invitées chacune à planter un arbre :
Indira Gandhi, Nelson Mandela, François Mitterrand…
Et toi mon ange, quel arbre planterait-tu si tu pouvais le retrouver des années plus tard ?
Dans le lotus de pierre noire qui fait face au château, ce sont les cendres de l’ancien premier ministre Ramgoolam.
Tu vois mon amour, la vie est courte, ne la gâchons pas loin de l’autre,
Ferme les yeux je t’emmène à Port Louis, rencontrer quelques fantômes qui ont vécu trop rapidement
Mais qui nous laissent en héritage la beauté de leur île ainsi que des souvenirs poignants.
Soyons-en dignes et aimons-nous à la folie, jusqu’à ce que le mort nous emmène loin des bougainvillées.
J’ai contemplé une orchidée toute la matinée en attendant que tu te réveilles, je n’ai pas osé te réveiller.
Quand je t’ai entendu frémir, je me suis glissée entre tes bras et je t’ai aimé pendant de longs instants
Je crois qu’on entendait nos soupirs jusque dans le pont qui enjambe la rivière du jardin botanique.
Un serin a fait entendre son chant mélodieux et les hirondelles commençaient à affluer au-dessus de notre hôtel.
Nous sommes sortis pour une dernière promenade, remercier la nature d’être ce qu’elle est,
Les arbres à laque étincelaient et renvoyaient dans nos pupilles une lumière divine,
Le fantôme de Labourdonnais nous a fait un léger signe de la main depuis le bassin des Nénuphars
J’ai caressé un figuier, un badamier et un cannelier de Ceylan.
Ces arbres ont senti notre amour et se sont écartés sur notre passage.
Nous sommes sortis du parc pour le village entouré de champs de canne des anciennes exploitations.
L’atmosphère avait changé et reflétait le passé esclavagiste de l’endroit.
Nous avons allumé des bougies dans l’église St-François à la mémoire des fantômes de Port Louis, puis j’ai agrippé ton bras, je t’ai emmené loin du Diable, loin des Dieux de Port-Louis
Le soleil et le sel, la baignade du matin faisait onduler mes cheveux,
Tu as essayé de les peigner avec tes doigts sans me faire mal, mais c’était une mission complexe et nous avons fini par attendre le soir sur la plage avec du vin mauritien derrière un arbre du voyageur (On le baptise arbre du voyageur car ses tiges constituent une réserve d’eau).
Dont le feuillage en éventail est utilisé pour couvrir les maisons. Les fantômes avaient quitté l’île.