Voyageur prends ma main, traversons le miroir de glace
Qui pétrifie l’horizon enchanté de la Volga
Ici les oiseaux sont des fantômes
Et les vieilles femmes ont de la magie dans leur regard ailé
J’ai couvert tes yeux avec un foulard fleuri
Et nous avons sauté dans la tempétueuse rivière
Je t’ai enlacé jusqu’à la nuit ; nos corps brûlant ont fait fondre toute la glace
Le tonnerre a frappé un arbre, j’ai sursauté, tu m’as souri,
Et la lune a découvert un parterre de fleurs rouges et violettes
Tu m’as regardée, j’ai pleuré en voyant que tu m’aimais
Mon poignard n’a pas servi, personne n’est venu nous menacer
Hormis le soleil, et le jour qui s’est levé comme une sirène paresseuse
Tes yeux blanchissaient à force de regarder mon corps dénudé
Les herbes se sont écartées pour laisser nos corps s’unir
Les fourmis grimpaient sur ma hanche, et ta main les a chassées
Dieu que la colline était belle, nimbée d’un halo bleu et de nuages
Je pleurais de joie, tu étais dans mes bras, tu me faisais l’amour en me parlant en russe
Je ne comprenais plus rien, mon cœurs s’est fondu dans le vent,
Mes mains ont caressé tes cheveux, et mon âme s’est diluée dans le temps
Il n’y avait personne d’autre que nous pour admirer le ciel
Saransk et son vacarme loin de nous, dans la campagne l’un dans l’autre
Une radio posée dans l’herbe moite nous a écouté nous aimer
Le soleil vacillait au son de tes lèvres sur ma peau
Nous sommes rentrés en ville, humidifiés par la nuit et l’amour
L’université Ogarev nous a regardés, les oiseaux posés sur les maisons avaient l’air livide
Plus rien n’importait que nous, la Russie disparaissait, le monde étincelait
Nous sommes entrés dans la librairie Mastorave, tu m’as tendu un livre
Je n’ai pas lu le titre, je regardais ton sourire, la nuit tombait sur Saransk
Les rues en terre hypnotisées par le givre, les camionnettes fonçaient
Ta main dans la mienne, j’ai attendu que les étoiles s’allument une à une
Comme des bougies que j’aurais allumées sur la montagne, une à une
De mes doigts fins, sans me brûler plus qu’au feu de ta présence
L’hôtel ployait sous le gel hivernal, mon amour, et les draps ont pleuré
Les fenêtres ouvragées ont tremblé cette nuit, nous nous sommes aimés
Un éclair est passé à travers les volets, c’était le train qui défiait la nuit
Je me suis déshabillée dans un banya (sauna russe) en regardant le plancher en bois
Tu m’as attendu et nous sommes sortis à nouveau dans le monde, le matin baillait
Comme un enfant avide de découvrir le monde ; il y avait une église abandonné
Je t’ai demandé en mariage cent fois avant que tu me prennes dans tes bras,
La jeep tremblait sur le chemin du retour, la route oscillait dangereusement
Tu as fermé les yeux, la boue s’écartait des roues crantées, la lune est apparue
Comme un lustre oxydé par un ciel trop brillant ; le soir tombait sur la Volga
Le fantôme d’Ivan III combattant la horde d’Or est apparu dans le soir
Etait-ce une hallucination, ou le manque de sommeil ? Mon amour ton visage
Est une caresse pour mes yeux, laisse moi caresser ta bouche de mes lèvres
Et ma main sur ta poitrine, laisse moi conduire la jeep au milieu des pins
Jusqu’à ce que la lune devienne un lointain souvenir, que la nuit nous entraîne
Dans un piège d’amour invincible, dans une prison étoilé d’éclats de verre
Prends ma main, défions la nuit, fais moi l’amour sur le givre qui habille la terre
Mon corps est brûlant, les églises sont loin, Dieu a fermé les yeux
Fais-moi l’amour cent fois, avant que le jour revienne hanter la terre de son regard fiévreux