Les nuages de Quetta

J’ai couru dans l’obscurité. Des mains se sont tendu. Mes genoux se sont écorchés, les ronces débordaient. Le boulevard s’enfonçait sous une épaisse fumée. Les néons des stores se sont braqués sur moi. Je me suis évanouie. Quelqu’un a caressé ma joue et j’ai rêvé que ce soit toi.

Il y avait des chevaux qui galopaient sur les champs élysées. Des avions piquaient. La nuit avait des airs de 14 juillet (fête nationale française). Une mannequin russe a détaché sa ceinture de sécurité pour parler avec un policier. Tous ces gens me regardaient. La lune a projeté son éclat sur mes larmes.

Musâpir (Voyageur), je garderai mes yeux fermés pendant cent jours de plus s’il le faut. Je marcherai avec un bandeau sur les avenues bondées de monde. Je ne parlerai plus je chercherai ta voix. Où que tu sois je chercherai ton souffle sur mes paupières.

J’ai traversé les continents, j’ai embarrassé le monde de mes pas impatients. J’ai aimé les fleurs de Thaïlande, et les lacs du Connemara. Mais je n’ai jamais senti la terre trembler sous mes pas comme le jour où j’ai posé mes yeux sur toi.

Si je t’ai fait mal, pardonne-moi. Je suis une âme errante, je ne fais que passer. Je cherche à écrire avec une plume trempée dans le soleil, mais mon encre est poussière et je marche en pleurant.

Mon amour, viens avec moi sotan ammâ (au nord) au Danemark, je te ferai un lit de roses de flanelle. Je vais t’emmener naviguer dans les eaux les plus froides de la planète pour te donner envie de m’enlacer. Mâpkan (excuse-moi) si je ne suis qu’une femme, je voudrais être le ciel et la terre pour toi.

Mon amour, si je t’ai fait pleurer un jour, je vais me punir en partant dans un pays en guerre. Là-bas j’écrirai ma poésie sur la terre aride. Les vautours seront mes seuls lecteurs. Je penserai à toi en dessinant une rose sur le plâtre éventré des maisons bombardées. Mon amour, pense à moi quand les avions largueront sur nos villages leurs fumées et leurs missiles.

Cette lettre est la preuve que je t’ai aimé, tu étais le reflet du soleil sur mes cils. Je n’ai écrit que pour te voir me sourire. Tu étais mon ami, et je t’ai donné mon cœur. Tu étais le koli (rossignol) chanté par les poètes de Perses et qui symbolisait l’amour passsionnel.

Aga zindag bûtan, gurhâ watârâ gindan (si nous restons vivants, nous nous rencontrerons à nouveau)

Aga shumae ijâzat, bît to man ravîn (si vous permettez je pars). Je vais me déshabiller dans la kowr (rivière) de poussière de ce village. Les fumées brûlent mes paupières. Voyageurs je pars au Baloutchistan, je pars noyer mes rêves à la réalité, aider ces gens. Ils ont plus besoin de mes bras, et je t’ai fait pleurer. Mon amour je pars loin de toi, je n’emporte avec moi que ton sourire dans un coin de mon âme.

Ma turs (n’aie pas peur) si un jour tu caresse mon visage, je ne lèverai pas les yeux sur toi si mon regard te brûle. Et dans cette chambre d’hotel, loin du Baloutchistan, quand nos corps s’uniront comme un rai de lumière immergé de soleil, tu oublieras nos jeux d’enfants

Mon amour, man sae shap djalîn (je resterai trois nuits) dans la prison de tes bras. S’il te plait ne me laisse pas partir pour l’autre bout du monde. Serre-moi fort contre toi dans cette du kat-e kamra (chambre double). Aime-moi jusqu’à me faire pleurer de joie. Aime-moi jusqu’à me rendre aveugle, me faire oublier la lumière des étoiles, éteindre en moi toute envie de parcourir le monde.

Retiens-moi avant que je parte pour Quetta me fondre dans les fumées hurlantes. Les déflagrations sont des étoiles de violence. Il fait froid en altitude. Il a plu hier à Kalat. Je suis montée en haut d’un précipice pour y cueillir des roses. Le crépuscule s’annonçait en touches ochres et roses. J’ai prononcé ton nom dans le vent, et le vent m’a fait tomber dans le précipice. J’ai chuté, ton nom sur ma poitrine, les roses se sont envolées, comme des messages d’adieu.

Voyageur, prends ma main, arrache-moi aux tombes, à la poussière de ce monde. Partons ensemble loin des ghall (partis politiques) véreux explorer l’envers de la beauté du monde. Déchirons la nuit, fumons la nuit, faisons danser la nuit. Voyageur tu es ma destination, mais je t’emmène loin de tes larmes ce soir. Viens, assieds-toi, je vais te lire un poème. C’est un billet d’avion dans nos villes pétrifiées. Je veux te faire sourire, je veux que tu me pardonne de ne pas savoir t’aimer autrement qu’en caractères d’imprimerie.

Accompagne-moi à Shalkot (Quetta), au temple sikh de Zahedan. Agenouille-toi devant moi et essuie mes larmes. Le soleil nous baigne de sa moiteur. Les pommes ont le goût de l’amour partagé. Plus loin, dans les champs de betterave à sucre, allons observer les oiseaux s’aimer en silence.

Le Baloutchestan regorge d’or et de charbon. Fuyons l’avidité de ce monde. Sabotons les gisements de pétrole et de gaz. Enveloppons nos corps fatigués dans le coton d’Islamabad, faisons l’amour sans nous préoccuper du temps qui s’envole comme un pétale de rose.

Voyageur, la sorud (viole) accompagne notre amour, de ses dix cordes. La musique ici a pour but de nous faire entrer en transe. Les shervandi (chants épiques) ne sont pas aussi poignants que notre histoire. Mon amour, prends ma main, pose la sur ta poitrine, un vieil homme chante le sowt (chant lyrique). Il a deviné mon sentiment pour toi et m’a souri, puis s’est évanoui dans le soir brûlant.

 Croque dans cet abricot, le matin s’apprête à entrer dans notre chambre. Me pardonneras-tu de t’avoir emmené loin de chez toi ? Est-ce que tu as confiance en moi ? Donne-moi ta main, prends un peu de shârâb (alcool) sortons dans les rues bondées. Allons parler aux oiseaux, demander notre chemin au vent insalubre.

Cet après-midi a des reflets argentés, une roshan (lumière) éperdue. Mon amour m’as-tu pardonné ? L’arc-en-ciel est en argile, c’est un escalier qui nous mène aux sommets de ce monde. Car peut-on comprendre cette vie sans aimer passionnément, sans autre destination que l’amour lui-même ?

Les femmes battent le blé, et mes yeux shunz (bleu-vert) se sont fermés. Dans ma conscience brûlante, dans les tréfonds de mon âme j’ai entendu un ange m’appeler. J’ai allumé une sigret (cigarette) je n’ai pas su où le rejoindre, — c’est parce que l’homme que j’aimais était déjà en moi ; son âme avait déjà pénétré la mienne, son sourire était gravé dans le blanc de mes yeux.

Une guêpe m’a piqué. Je me suis réveillé d’un long songe, j’ai regardé le ciel. Un nuage s’est approché de ma joue et je l’ai caressé, il avait l’air blessé de me voir étendue sans vie sur la terre de Quetta.

Mon amour, mes cheveux volent dans le vent, ils indiquent ma prochaine destination. Accompagne-moi je suis un peu jand (fatiguée) j’ai besoin de te savoir près de moi. Ta voix est une décharge de barq (électricité) j’ai peur de prendre feu. Partons loin du feu, allons toucher la bawar (glace) d’autres cieux inversés. Je veux te voir baktâwar, je veux te voir sourire.





Le baloutche est une langue proche du persan, parlée par 7 millions de personnes au Pakistan, en Iran et en Afghanistan

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