Seoul Insomnia / Insomnie à Séoul

Le dernier métro a filé comme une étoile mourante
Seoul Incheon, l’aéroport me laisse pantelant dehors sous la pluie
J’ai aimé un visage dans la brume plus que ma propre vie
J’ai rêvé que ce fantôme pourrait prendre forme humaine
Le trottoir reçoit une pluie fine, je marche à perdre haleine
La nuit m’accueille comme une âme égarée, il pleut des braises non ?
Ou est-ce mon cœur qui flambe comme une torche éteinte par un nuage ?
Un bus est passé rapidement, je n’ai pas eu le courage de le héler
Je vais marcher comme marchent ceux qui n’ont plus d’espoir en la lune
Mais voilà que le bus freine et qu’une vieille femme y pousse sa charrette
Que Seoul est triste la nuit ! Que les enseignes lumineuses font pâle figure dans ce quartier rance !
Les hauts parleurs ne diffusent plus de musique pop, la ville s’est tue comme une amante éconduite,
Et je promène mon cœur liquide comme un ruisseau sur lequel une femme y a fait ricochet
Je l’ai aimée pendant cent jours comme l’Histoire aime le sang et le crime
Le bureau de l’ONU derrière moi, j’avance au travers des rues pavées, pantelant,
Un ajeossi (homme dans la force de l’âge un peu macho) vient de loucher sur une poubelle éventrée
J’ai mal aux jambes mais je vais continuer jusqu’à trembler d’épuisement ;
Le casino doit être fermé. Demain j’écouterai Arirang (classique de la chanson coréenne symbolisant l’amour perdu) en la cherchant des yeux sur la glace de la patinoire du quartier
Je n’ai jamais été fou, je n’ai jamais perdu autant l’esprit que pour cette danseuse
Une camionnette blanche s’arrête. Si je veux monter ? Non, je veux marcher, moi ! Je veux me fondre dans le brouillard !
Cette nuit est la dernière que je consacre à la réflexion. Je vais détruire toute lumière en moi
Je vais devenir soumis aux tornades, je vais me dévouer à l’ouragan de la mort comme un glacier au soleil
La religion n’a plus de prise sur moi. Si je veux un café ? Vous êtes encore ouvert ?
Il y a des adolescents qui écoutent je ne sais quelle musique. J’ai froid, les arbres semblent onduler
Est-ce qu’il pleut vraiment ? Je n’entends plus la musique. Je ne ressens plus rien.
Une jolie patineuse m’a volé mon sommeil et la lune me dévisage dans la tempête
Ce chien errant, là, qu’est-ce qu’il veut ? Est-ce qu’il rit de moi ? Est-ce que je deviens fou ?
Je ne dois plus espérer la revoir séduire la glace de ses mouvements de cygne
Chuseok (fête de l’arrivée des moissons) viendra, le printemps va revenir je le sais !
Mais la ville toute entière se referme sur moi cette nuit comme une pince en acier
Et je meurs d’avoir aimé un ange, et l’obscurité fond sur moi comme un frelon à l’allure fantastique
Les arbres me frôlent, les nuages me lèchent, et la lune me gifle. Laissez moi !
L’amour m’a rendu fou ! Et cette ville aspire chaque seconde toute l’âme qu’il me reste
Est-ce qu’il pleut ? Sont-ce mes larmes qui me brûlent les joues ? Ou le soleil qui point ?
Oui, on voit déjà une lumière à l’horizon – Dieu que l’aube est belle dans ce pays…
Et pourtant je suis l’esclave de la nuit, depuis qu’elle m’a rejettée. La noirceur des heures indues adoucit celle de mon cœur
Les fils électriques sur la chaussée – où sont les oiseaux ? – Dieu que cette ville est belle quand même,
Et qu’il est agréable d’avoir aimé tout de même… Un marchand, une odeur de haricots rouges m’emplit les narine
Est-ce possible, la vie qui renait quand la lumière a fui l’orifice de mes yeux ? Il fait encore sombre !
Mais déjà on distingue les portes des immeubles. Une fenêtre s’allume. On ouvre une porte
Une jeune fille me dévisage, sa bouche rit, elle a l’éclat d’un hibiscus. Si je pourrai demain oublier la nuit ?
Si je peux aimer le matin à nouveau ? Donnez-moi une bière. Je marcherai jusqu’à Hongdae (station de métro)
Le bus est plein à craquer. Un journal me gratte l’épaule. Une femme renifle dans mon oreille.
Le love hôtel se débarbouille de ses teintes ternes. L’ocre du jour pâlit. Il a beaucoup plu cette nuit
Je me frotte les yeux en m’asseyant. Je n’ai pas dormi de la nuit. Me reste-t-il du makgeolli (alcool à base de riz fermenté) chez moi ? Je vais le boire en pensant à l’amour que j’ai eu pour elle.
Ensuite je dormirai – Non, je partirai plutôt dans la montagne Achasan à l’est de Seoul. J’irai demander aux oiseaux…
J’irai… Mais voilà que mes yeux me font taire en se fermant. Je suis arrivé dans mon quartier. Le bus fait halte.
J’aimais une patineuse, vous savez, et je… Pourquoi la nuit me rejette-t-elle aussi de sa langue dorée ?
Un pojangmacha (restaurant de rue) prépare des plats du jour. Je passe devant, voilà ma porte
L’air est moite et chaud. On entend la sirène d’une voiture de police. J’enfile la clef dans le verrou.
Le visage de ma patineuse déjà semble devenir flou. Il se mélange avec la brume du matin, non ?
Et pourtant que sa bouche était belle. Et que je l’ai aimée… Que Dieu me pardonne…
Je vais partir faire mon service militaire (au moins deux ans et réservé aux hommes de moins de 31 ans) pour échapper à la glace qui me brûle encore la poitrine
C’est décidé, je partirai. Demain. Le ventilateur fait un bruit d’enfer. Je vais devoir fermer les stores.
Il fait noir à nouveau. Le visage de la patineuse est là, dans l’obscurité. Il me dévisage. Laissez-moi !
Je deviens fou, mais je suis à terre. Que m’est-il arrivé ? Je suis tombé d’épuisement.
Je partirai demain, une fois ce nouveau jour évanoui. J’écouterai Arirang dans les montagnes. Je vais dormir à présent.
L’amour a fait de moi le serviteur des nuits de la ville de Séoul.

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