Dans Ispahan ombragée par la pluie
Les libellules sont un éclair dans la brume
Cette ville est une tisserande de lumière
Les pastèques en sont trempées
C’est une bir xub il (une bonne année)
Douze mois sur lesquels se referment
Les lourds rideaux de l’inquiétude
Et l’averse étouffe le blé et l’orge dorés
Les libellules discourent dans ma langue
Et écrivent mon livre de poésie
Sous cette tente blanche
Je viens d’une tayfä (tribu) anonyme
La poésie est mon destin
Et ma soy (lignée) est une ligne de feu
Sur l’étendard grisâtre des jours pluvieux
Ma langue turki (qashqay) s’envole au-delà de l’horizon
Sa voisine l’azéri la salue
De sa ïššïq (lumière) millénaire
Comme une compatriote indevinable
Voyageur, accorde-moi encore un peu ta diqqät (attention)
J’ai besoin de toi pour tracer
Sur l’écorce des arbres courbés par le vent
Les secrets de la langue qashqay
J’ai renversé des kebrit (allumettes) allumées
Mon front a pris feu. Je brûle dans mon envol. Viens avec moi,
Accompagne-moi dans la province du Fars
Les collines se succèdent
Le district de Kazrun s’étend au sud
Ma boussole pointe vers les nuages
Tu es ma destination, mon seul mirage
Dans ce pays éclairé par le dos des insectes
Mais les collines se succèdent
Et les libellules nous épient
Comme si nous étions le sucre
Qui manque à leur vol translucide
Traversons les plaines de Shahreza
Le quartier d’Abiverdi de Chirâz,
Semirom et Ispahan, la ville hantée de Yasudj
Ma gulup (lampe) éclaire le soir bruyant
Allons danser jusqu’à tomber d’épuisement
La mélodie du sähär avazï (chant de l’aube)
Se mélange à la flûte des bergers
Les timbales fêtent une toy (cérémonie de mariage)
Pendant sept jours et sept nuits
Allons voler un peu d’ivresse et de joie
Aux ussa (musiciens populaires) et leurs trompettes
Les ghazals constellent la voie lactée
Deux hommes luttent au bâton
Ce sont des frères envoûtés par le soir
Leur sueur est de l’or liquide
Des femmes ont formé un cercle
Autour du feu qui fait crépiter la nuit
Leurs mains agitent des foulards
Quelqu’un a chanté : un récit de guerre
Voyageur, nous qui survivons emmurés dans le béton
Viens, quittons ces ciels trop tranquilles
Ma gulup (lampe) éclairera le soir bruyant
Allons danser jusqu’à tomber d’épuisement
Traversons les plaines de Shahreza
Le quartier d’Abiverdi de Chirâz,
Semirom et Ispahan, la ville hantée de Yasudj
Les collines se succèderont,
Et les libellules nous épieront
Comme si nous étions le sucre
Qui manque à leur vol translucide
Note : Le qashqay est une langue proche de l’azéri, irano-turcique. Elle compte quelques dizaines de milliers de locuteurs.