Le chateau de papier (conte)

              Il était une fois, dans un pays oublié désormais, un château de papier. Il ne pleuvait jamais, et le soleil quotidien ne faisait que roussir les murs du château. Dans le plus haute tourelle, vivait une mésange. Elle annonçait le lever du soleil par la même mélodie, chaque jour.

Parfois, un peu de coton neigeait. Les habitants de ce château n’étaient pas nombreux et ils vivaient en parfaite harmonie. Lorsque le pont-levis était abaissé, dames, valets et chatelains en tous genre partaient se promener dans les forêts alentour. Comme le château, ces forêts étaient en réalité des cartes de papiers, imbriquées les unes dans les autres. Les trèfles poussaient de ci de là à côté d’arbres en forme de pique. Seule une des forêts, la forêt des brumes, était faite d’arbres tous plus épais les uns que les autres.

Nous étions en juin, quand un orage gronda. On entendit un vacarme assourdissant. Le ciel se chargea soudain d’électricité. Un éclair déchira l’air cotonneux. Alors, la pluie se mit à tomber. C’était la première fois qu’il pleuvait dans cette contrée lointaine. Catastrophe : le château fut vite ravagé par l’eau, et les habitants du château, peu habitués qu’ils étaient aux déluges, s’enfuirent dans la forêt des brumes. Les autres forêts étaient elles aussi détruites par l’averse.

Il ne resta dans la ruine de papier que la mésange matinale et l’une des princesses. Cette princesse était la plus jeune d’une ribambelle de soeurs. Celles-ci avaient fui avec leurs parents en l’oubliant : elle dormait profondément quand la pluie tomba, et ne s’était pas éveillée. Ainsi, lorsqu’elle ouvrit finalement les yeux, quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver au beau milieu d’un tas immense de papier mouillé ? Son lit trônait au beau milieu de ce vaste champs de papier humide.

Mais loin de s’effrayer, la petite princesse s’étira et sourit au jour. La mésange vint se poser sur son épaule :
« Maya, princesse de mon âme, n’as-tu pas suivi tes sœurs ? Elles sont parties se réfugier dans le château de sable, de l’autre côté de la forêt des brumes »
— Merci mon amie, lui répondit la princesse, tout en battant des cils, qu’elle avait longs et doux.
— Vas-tu les rejoindre, Maya ? S’enquit l’oiseau.
— Je pars immédiatement, décida la jeune fille. Elle glissa ses pieds dans des escarpins trempés et secoua son épaisse chevelure blonde. Des brindilles tombèrent sur le sol. Maya adorait se promener dans la forêt des brumes, et sa chevelure en témoignait.
              La petite princesse se mit en route. Elle savait que pour rejoindre le château de sable, il lui faudrait traverser la vaste forêt des brumes. Elle sourit à la pensée de cette promenade dans ce bois, qui passait pour le plus dangereux du voisinage. Ses parents lui avaient toujours interdit de flâner dans ces environs. Mais aujourd’hui encore, elle irait par les chemins de terre de cette forêt qui faisait tant frémir ses soeurs.
              Le ciel rosit, il était près de midi. L’air chauffait. On apercevait encore des lambeaux de papiers mouillés dans les airs. Maya en attrapait parfois, les froissait, et les jetais. « Et dire que ces lambeaux étaient autrefois ma maison », songea la jeune fille. « Mais enfin… N’es-tu pas triste, Maya », siffla la mésange bleue et or qui continuait de lui tenir compagnie. « Tu sais petit oiseau de mon cœur », répondit Maya, « Le véritable foyer, c’est la où se trouvent ma famille. Peu m’importe de vivre dans du papier doré où du sable d’argent. J’habiterai là où je trouve de l’amour ». En disant cela, elle trébucha : un tronc d’arbre foudroyé barrait le chemin de terre.
              Maya s’accroupit près du tronc d’arbre. Elle posa sa main fine sur l’écorce. Soudain, elle entendit une voix grave, comme émanée d’un autre monde : « Princesse Maya, je suis le plus vieux chêne de cette forêt. Tu vas te perdre dans la forêt des brumes, ce chemin que tu empruntes ne mène nulle part ». Maya rougit et retira sa main de l’écorce. Mais le grondement reprit de plus belle « Jolie princesse, tu dois me croire. Cesses de suivre ce chemin. Je vais t’offrir un présent. Jadis, j’étais le roi du château des brumes. Un maléfice m’a transformé en arbre centenaire ».
              Tout à coup, une baguette de sureau apparut dans les airs. Maya tendit le bras et s’en empara. Elle tremblait à présent de froid. « Cette baguette exaucera trois de tes choix. C’est le présent du roi des brumes à la princesse de papier ». Maya tremblait de plus en plus. Elle eut les larmes aux yeux quand, sous ses yeux ébahis, le tronc tomba soudain en poussière. Elle ramassa un peu de la poussière au sol, en rêvant à qui aurait pu être ce roi. Soudain, une idée se fit jour en son esprit. Elle agita la petite baguette dans les airs « Que le roi des brumes soit ressuscité », dit-elle, et aussitôt, un vieil homme apparut devant elle.
              Il leva son long visage vers elle. « Merci, jeune dame », lui murmura-t-il. « Il semble que vous m’ayez sauvé la vie ».
— Ce n’est rien ! Voulez-vous m’accompagner ? Je cherche à rejoin…
Mais déjà, le roi des brumes s’effaçait dans la touffeur de la forêt, nullement enclin à suivre la petite princesse qui grelottait. Elle agita une seconde fois la baguette « Je voudrais ne plus avoir froid » et un châle en laine parut devant elle. Elle s’en vêtit et continua son chemin, serrant la baguette de sureau de toutes ses forces.
              Quelques heures plus tard, elle s’assit sur un lit de bruyère. Le soir commençait à tomber. Maya ne retrouvait plus son chemin. Elle était fatiguée. Elle observa deux oiseaux dorés danser à la cime d’un sapin. La lumière baissait. Elle se frotta les yeux. Sa bouche était sèche, aussi fit-elle apparaître de l’eau avec la baguette de sureau, qu’elle agita. Un lac se forma devant elle. Les deux oiseaux vinrent voleter à la surface du lac. Elle s’aperçut que leurs plumes étaient recouvertes d’une mince couche d’or. Une des plumes se décrocha et Maya l’attrapa au vol. En la touchant, elle sentit un léger frisson parcourir son corps.
              Maya se remit en marche jusqu’à ce que l’obscurité enveloppe complètement la forêt. Mais alors, un filet de lumière jaillit de la plume d’or qu’elle serrait encore. Ses doigts fins manipulaient la plume avec précaution. La nuit s’était également drapée de silence. Seuls les pas incertains de la jeune princesse sur le chemin de terre écartaient les voiles mutiques de la pénombre.
              Maya marcha ainsi jusqu’à l’épuisement ; déjà le soleil écartait les yeux de la nuit. Maya mit une main en visière sur son front. Quel ne fut pas son chagrin, en voyant qu’elle était revenue à son point de départ. Le château de papier émergeait du jour, devant elle. Il s’était transformé en un vaste lambeau de papier mouillé et brûlait sous les assauts du soleil. Le château de son enfance était devenu un gigantesque incendie. Maya eut les larmes aux yeux. Elle s’assit sur le bord du chemin et regarda les flammes consumer ce lieu qui avait été toute sa vie son foyer.
              Une fois chaque lambeau de papier parti en fumée, Maya se demanda ce qu’elle devait faire. Tout à coup, elle entendit trois coups de canons. Au loin, dans le matin à présent brillant, retentissaient les canons d’un autre château émergé de la nuit calme. C’était le château du roi des brumes, qu’il avait ressuscité en une nuit. Voilà pourquoi il avait précipitamment faussé compagnie à la petite princesse !
              Maya courut aux abords de ce château. Elle chanta devant le pont levis :
« Je suis la princesse de papier
La nuit m’a faite orpheline
Qui pourras m’octroyer
Et le gîte et l’asile d’un jour ? »
             Le pont-levis s’abaissa. La petite mésange, qui était restée juchée à son épaule tout ce temps, s’envola. Maya la regarda tâcher le ciel matinal de son or brillant. La jeune princesse franchit la distance qui la sépara de la cour intérieure du château. Le château ployait sous une épaisse brume. Maya reconnut le roi des brumes. Il était accompagné d’une ribambelles d’enfants, parmi lesquelles -au grand étonnement de la princesse- se trouvaient ses sœurs. Ses parents étaient là, eux aussi !
 — Le château de sable a été partiellement détruit sous l’averse, lui expliqua l’une de ses soeurs. Seul le château de brume, qui est réapparu cette nuit par enchantement, est resté debout. La pluie a seulement épaissi ces brumes
              Le roi des brumes prit alors la parole pour raconter sa rencontre avec Maya. Celle-ci se sentait heureuse d’avoir permis à sa famille d’échappe à un grand danger. Elle riait avec ses sœurs. La mésange tournoyait dans le ciel accompagnée de deux oiseaux d’or. Une plume d’or se détacha encore du dos d’un des oiseaux. Maya s’en saisit et commença à coucher son histoire sur un parchemin.
              Note du conteur : cette histoire est écrite avec une plume d’or. Il se peut que des éclats dorés viennent tâcher votre clavier pendant que vous lisez.
             

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