Le lac Kivu saignait
Je me suis attardée à son chevet
La pluie battait en brèche l’horizon
Des gouttelettes d’or jaillissaient sur l’écume
Le soleil explorait le nord du lac
Un nsu (aigle, vautour) facétieux m’a souri
Allons rendre visite à l’arbre à fleurs rouges
Un oiseau s’est posé sur les berges de mon cœur
Un kighogho (tronc d’arbre couché) m’a défiée
« Pour prouver que tes intentions sont sincères,
Tu dois aller chercher, m’a-t ’il dit
La robe la plus précieuse de cette forêt
Elle est tissée dans la lumière de la lune »
Les fourmis rouges m’ont emmenée sur la lune
La sueur perlait de mon front pâle
Ce sentiment qui me hante
Faut-il l’ânika (sécher au soleil) ?
Même les étoiles pleuraient
À quoi sert d’itsiira (aimer)
Si c’est pour se noyer dans un ciel infernal ?
Le soleil jouait à colin-maillard
En brûlant le front nacré de l’astre
La lumière semblait du kîpfûwûto (lait caillé)
Et le ciel crachait une cendre opaque
J’ai essayé de m’enfuir de ma geôle
Mais les rayons de la kiôma (pleine lune) m’ont rattrapée
J’ai murmuré cent fois ton nom,
Dans ma prison de lumière
Puis j’ai enfilé sur un fil de raphia
Chaque idée qui t’était destinée
Et j’ai tressé une longue corde
Pour redescendre sur terre
Le saphir de la voûte stellaire
A cédé sous mon coeur lourd ;
J’ai retrouvé le sol du Congo-Kinshasa
Viens, je t’emmène en bateau
Sur le lac de Kivu
La nuit est froide et insensible
Les fourmis connaissent notre secret
J’ai voyagé jusqu’à l’astre lunaire,
Alors que le lac de Kivu brûlait
L’isûba (le soleil) couvre mon front de sueur
Le miroir de l’eau tremble, à présent,
Les fourmis rouges ont cessé leur agitation
Dans le champ des bananiers à bière,
Délivrons les oiseaux de leur cage en bois
Le volcan Nyiragongo
Crache sa fureur sur le matin
Les étoiles jalousent notre départ
Un éclair rose déchire le ciel
Notre luêndo (voyage) commence ici
Les fantômes nous accompagnent
Prends ce vélo, il roule encore
Quittons les berges du lac Kivu
Les fourmis rouges m’avaient prévenue
Les aigles bruns m’ont conjuré
De t’abandonner au souvenir
Mais mon coeur s’envole comme un pétale
Je ne les ai pas écoutés
J’ai essoré chaque seconde de temps,
Comme une robe mouillée
Je suis partie à ta recherche
Tu vois ? Ici c’est l’isînda (le tombeau) d’une étoile
Jette donc ta cigarette,
La lune nous observe depuis son trapèze
Laissons ce bouquet de fougères
Je suis le mushiyi (serviteur) de la poésie
Je brûle sous cette pluie tropicale
J’ai échangé mon âme contre ton sourire
La sève coule des arbres séducteurs
La nuit tombe sur le lac Kivu
J’emmène des gants noirs sculptés
Dans le bois de l’arbre de ricin
Et ma robe brodée de lumière
Je sacrifierai chaque grain de mushêe (sable)
Contre instant de plus dans ce pays,
Le vent s’engouffre dans mes mèches brunes,
Il me fait décoller du sol
Ma robe se répand sur la terre
Comme une flaque de sang séché
Je me suis endormie sur les berges du Kivu
Dans un berceau de lumière blanche
J’ai sacrifié tout mon bîtwe (argent, biens)
Ce bilôto (rêve) drape l’horizon lunaire
Le matin dévore nos âmes embrumées
La lumière semble du kîpfûwûto (lait caillé)
Allons, je t’emmène en bateau
Jusqu’à l’isînda (le tombeau) d’une étoile
Notre luêndo (voyage) commence ici
Je me suis endormie sur les berges du Kivu
Jette donc ta cigarette,
Le vent s’engouffre dans mes mèches brunes,
Mon coeur s’envole comme un pétale,
La nuit tombe sur le lac Kivu
Je suis le mushiyi (serviteur) de cette poésie,
Je brûle sous cette pluie tropicale
Les fourmis rouges m’avaient prévenue
Les fantômes nous accompagnent
Prends ma main,
Allons rendre visite à l’arbre à fleurs rouges
Le lac Kivu saigne
La pluie bat en brèche l’horizon
L’isûba (le soleil) couvre nos fronts de sueur
Note : le kihunde est une langue bantoue et est l’une des langues nationales du Congo-Kinshasa. Il est parlé dans la région du Kivu à l’est du pays.