Le jour se lève sur les ejidos
(terres appartenant à une communauté)
Je me suis perdue au cœur du Mexique
Voyageur un peu de pulque ?
(boisson fermentée à base d’agave)
Viens boire la déhé (eau) que ce vieil homme nous tend
Laisse-moi t’en asperger le visage
Laisse-moi jeter toute l’eau de ce bidon sur toi
Rien ne sèche plus vite que le corps quand l’âme est brûlée
Oublions un temps les distances entre nous et l’Histoire
Jouons dans la cour de cette hacienda bleue
Dans la vallée de Mezquital
Une paysanne cultive le nopal (figue de Barbarie)
Elle nous raconte l’histoire d’une langue
Qui chaque jour meurt comme la fleur d’été,
Dans un siphon de chaleur
Loin des étals de céramiques,
Au péage de l’autoroute Mexico-Querétao
Voyageur, je t’invite à la fête des saints patrons du village
Là où les jeunes s’embrassent à la nuit tombée
Dans un espagnol mêlé d’anglais
Maintenant, ferme les yeux
Du sang coule de cette Histoire
Je ne veux pas que tu te blesses,
Je te ferai une armure de ma poésie
Suis-moi dans la mine d’argent de Zacatecas
Nos chemins risquent de se séparer ici
Prends ma main, suivons la route la moins fréquentée
Je ne veux pas que tu t’égares —
Les alabanzas (prières traditionnelles) meurent sur nos lèvres
Aujourd’hui berce les souvenirs d’hier
Les rideaux des haciendas tremblent encore
Comme la poussière sur les lèvres des femmes
C’est le sable d’une histoire contestée
Voyageur, je ne peux pas te mentir
Ce pays a souffert plus que de raison
Je me consume en priant la Sainte Croix
La guerre d’Indépendance
A coûté la vie de tous les chefs de guerre
La Révolution est en marche
Huerta est tombée en 1914 — depuis lors,
L’Eglise et l’Etat se disputent les promesses de l’aube
Un homme a joué de la concha (sorte de guitare à cinq cordes) toute la nuit
Voyageur, avance-toi près de l’autel
Offrons des fleurs, une chandelle ou de l’argent
À cette église qui tombe en poussière
Broyée dans la course effrénée de l’Histoire
Tentons l’impossible,
Ravivons le souvenir d’une langue oubliée
L’espagnol a étouffé les cris des nouveau-nés
Mais le chahut de l’otomi brise le silence
Dans la cour de cette église
Má gó (je m’en vais)
À l’aube mes soupirs retentissent encore,
Je finis cet avion en papier
Il me ramènera dans mon pays
Des jeunes filles se sont mises à danser
On distribue du café chaud
Voyageur es-tu fatigué ?
Viens te reposer à l’ombre de mes cils
L’air sent l’herbe fraîchement coupée
Le ciel s’orne de couleurs vives
Le carmin du coucher de soleil ombrage nos silhouettes
Je finis mon Perrier citron
Sous l’asile de cet arbre tremblant
Voyageur cette langue est magnifique
À Santa Ana Hueytlalpan (« sur la grande terre », en nahuatl)
La fraîcheur de notre secret se dissimule
Dans les tréfonds du vent
La guitare berce notre repos
La lumière est notre asile de feu
Est-ce un pháni (cheval) qui se cabre ?
Le soleil qui nous joue un tour ?
Ou l’amour qui éblouit nos âmes ?
Je me suis perdue au cœur du Mexique
Le chahut de l’otomi brise le silence
Má gó (je m’en vais)
Voyageur, avance-toi près de l’autel
Oublions un temps les distances entre nous et l’Histoire
***
Note du traducteur : la langue otomi est une langue amérindienne parlée dans huit États du Mexique, elle n’est pas considérée comme prestigieuse et ellle est en déclin par rapport ses voisines l’espagnol et le nahuatl.