Jet Set (Iran Air)

Remontez votre carré hermes de cent millimètres sur votre nez.

Ainsi, vous ne sentirez pas les effluves aberrantes de la pauvreté.

La rue est à nous.

Elle est médiocre et vaporeuse dans la fumée de gazole des voitures de collection qui la hantent.

Elle est bétonnée comme le reste de cette ville.

Elle trépigne derrière l’aviation club de France, à dix mètres du meilleur cinéma de Paris qui a passé « Les chats persans » hier.

C’est là que vous retirerez des centaines d’euros que vous dépenserez ensuite au Jet Set.

Aujourd’hui, c’est ma tournée.

Je vous y verrais, dans ce restaurant iranien au drôle de nom.

A trois pas en arrière des Champs-Elysées, il ne s’est pas toujours appelé comme cela.

Avant, il se prénommait « Au Sheikh ».

Le Sheikh, c’est moi.

Je suis contre le pathétique jeté de roses piquées d’orgueil et de gloire incendiaire sur soi-même.

Ma femme voulait faire de moi un mendiant.

Elle refusait toute allusion à la Jet Set de ma part. Alors, quand elle est morte d’un cancer dans des souffrances étonnantes, j’ai trouvé ce nom. Pour plaire à ma clientèle, qui prend des airs de princesse survoltée, et tant pis pour la femme de ma vie.

J’aime bien ce nom, il me plait.

Vous avez retiré des petites coupures cette fois, sous l’oeil aguerri d’un quelquonque mendiant gris de jalousie.

Vous êtes venu à ma rencontre.

D’habitude il est impossible de me rencontrer, moi, je me terre dans l’arrière-boutique.

Je vais faire une exception pour vous aujourd’hui.

Laissez-vous tomber sur le rembourrage pourpre de ce siège. Laissez-moi vous parler de mes clients.

Leurs gestes sont un vol gracieux de mouches, comme elles s’échappent dans la fumée du soleil, ils s’évaporent dans les relents du narguilé à la pomme.

Que commandez-vous, Monsieur?

Sainte-Apoline, Cuvée 1990 – C’est entendu Monsieur-

Le serveur s’évanouit dans la lumière des yeux noirs qui le poursuivent jusqu’au bout du bar.

Votre esprit tel un pinceau finement aiguisé, balaie savamment les savoureuses tentures que j’ai pendues au murs comme autant de désirs.

Les athées vont sur la terrasse et discutent en regardant négligemment passer les parisiennes; les chiites comme vous et moi se contentent de l’embrasement produit par le mélange des fils bruns et rouges sur les tapisseries qui représentent des courbes de femmes.

Je n’ai de pitié pour aucun d’eux.

Mes clients sont des loups, athées et croyants, verre de vin et narguilé. Ils se vautrent dans l’impatience de leur commande et j’imagine le désespoir de leur moitié après l’amour rapide et sec.

Voilà Monsieur Makhmalbaf, un fameux…-mais qu’importe son métier? Il s’attable jambes de trois quart, doigts fines, et poignets grossiers, au fond de la terrasse: cela fait un bail qu’il ne croit plus en rien. Désillusion, lampe oblique versant des paillettes cinématiques sur lui; « café serré », s’il te plait jeune homme.

Le serveur grince des dents et s’enfuit auprès du bar.

Un couple d’iraniens, la trentaine, commande un whisky coca.

L’homme a un air de rocker avec ses pattes et ses lunettes écailles de tortue qui surmontent le nez busqué comme un bec de corbeau.

 »Halleluia », votre commande arrive.

Vous regardez la femme du rocker. Elle passe une main translucide dans sa chevelure décolorée d’un ton sous le noir geai. Vous tombez en admiration devant cette couleur pitoyable, une lampe artificielle ne vous aurait pas brulé plus profond.

Vous caressez la fourchette. Rêvez d’oser lui catapuler un message brodé dans la nappe en lin rouge.

Vos rêves d’enfant se croisent sur le chemin du coup de foudre.

Le match de football passe à la télévision. Le gazon est tondu. Les joueurs s’agitent.

Nous nous regardons lentement, happés par les effluves de pomme et de drogue.

L’air de rien, les battements de nos coeurs s’accordent. Le timing est parfait:

« Mon fils, tu n’as pas changé. » je te dis.

Une infime larme est tombée sous les yeux de notre public. Les yeux noirs s’aggrandissent; les gestes insipides me redeviennent familiers.

« Tu as pris Iran air pour convaincre ton père de revenir au pays.

Mais fils, regarde cette femme inconnue. Pourrai-je la laisser au bras de ce damné musicien? Elle est si fragile, elle ne peut pas le quitter, elle vient ici tous les vendredis, c’est sa seule bouffée d’air, fumée de pomme sur son esprit ailleurs.

C’est embêtant, si je t’écoutais, je quitterais ce monde qui me plait ».

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