J’avais cent ans. La poésie s’est amarrée
A ma vie. Je ne l’avais jamais croisée
Elle était sale, elle sortait la tête d’un ruisseau de boue
Je ne sais pas comment ni quand,
Sans mots, sans phrases allongées
Elle a giflé le mat de ma nuque
Elle a ramé dans la nuit noire
Evité les vents tumultueux
Et les injures des cieux impalpables
Je lui ai touché la paume de ma main moite
Et je l’ai emmenée chez moi.
Je n’ai pas su quoi lui dire.
Sa bouche était gercée,
La mienne inanimée
Je n’ai pas sur lui parler non,
Je n’ai rien su lui raconter
Ni les étoiles volantes qui animaient mes cils
Ni la jeunesse et le feu et la foudre blanche qui dansent dans les montagnes ;
Mes yeux ont englouti l’orgueil de son cou blanc
Et mon âme s’est recroquevillée, en boule
Comme un chien apeuré dans une vieille forêt
Je suis resté seul, avec elle
Seul, face à face avec son visage d’ange triste
Puis, la poésie m’a dit je t’aime
Et j’ai écrit le premier vers
Je l’ai vu danser dans mon ombre
Aguicher les sentiers délabrés
Séduire la pénombre éblouie de feu
Je l’ai vu mendier sa chair
Comme un nuage constellé d’orage
Et le ciel
S’est désagrégé
Dans la lumière à ciel ouvert
De ce couplet écrit en pleurant
Des litres d’huiles parfumées
Et mes pupilles perforées
Par les flèches de l’encre mauve
Flottaient sur le papier de la nuit pale