La réussite est un valinggir (un cerf-volant)
Et le soleil fait une partie de cartes
Avec l’océan qui se trémousse
Sous le regard complaisant du soir
Ma femme change de paréo
Dans la petite chambre l’armoire grince,
Les ailes des avions sur l’île
Lui font une ombrelle acide
Et le Karantekang ouvre les yeux
C’est le matin sur l’île de plomb
Un arc-en-ciel consume le ciel
Le soleil sombre dans l’eau mauve
RSUP Manado – (Hôpital central de Manado),
L’éclaboussure d’un babifi (moustique)
Un jus de citron, de la menthe
Mon instructeur vient d’Indonésie
Les murs de l’océan claquent sur la coque
Un battement pulsateur, une attente
Slamat soré Meneer (Bonsoir, M. le professeur d’université)
Une algue se pose sur mon front
De mes yeux une encre ijo tua (vert foncé),
Fuit, et loin de ma tête oxygénée
Le bateau oranye (orange) m’oublie
Le reflet biru dongker (bleu foncé) d’un requin
Electrise ma peau
Mes regrets sont irrespirables
Que deviendra mon jardin, cette rose
Que j’ai laissée pour suivre l’océan ?
Ma mort vaut bien celle des fleurs
Kiapa so ? (pourquoi ?)
A terre, les hommes se passionnent
Les guerres se succèdent aux bonheurs,
Ma main écorchée sur un rocher
Un filet de sang obstrue le bleu de l’océan
Et mon professeur de plongée
Oppose la cathédrale de ses mains glacées
A la feuille de verre des eaux
Et fouille, et fouille dans l’écume
Kiapa dia pe lama mo datang ? (Pourquoi a-t-il mis si longtemps à venir ?)
Le reflet de mon dos oblique
S’abîme dans son effroi liquide
Kiapa so ? (pourquoi ?)
Mes yeux émergent des écailles
Je crois que mon instructeur nage
A contre-courant du requin
Je vois son ombre surgir dans un éclat de lumière
Le bleu explose en gouttes argentées
C’est une spirale inamovible
Estherlita, attends-moi sur le rivage
Que je baise tes lèvres endiablées
J’ai parcouru l’Indonésie
Pour siroter des mixtures ailées
Mais c’est dans ce coin des Célèbes
Que le soleil m’a le plus brûlé
Et je danse, je danse,
Dans le sillage du requin
Est-ce sa salive, est-ce de l’écume,
Mes palmes s’emmêlent
Une odeur de mangue verte
Capture mes narines et mes lèvres
Ma bouche se détache de mon corps
Et je respire, je respire encore
De Minhasa à Sangir
Les enfants me respectaient
J’aimais recevoir dans leurs grimaces
L’extrême-onction de ma vanité
Aujourd’hui je suis leur passé
Ils courent sur terre et je m’inonde
Dans cet océan manadonais
Il pleut des larmes multicolores
Un dépôt de terre soufrée
Sur la crète d’une vague
Note :
Le manadonais est une langue des habitants de la région de Manado, au nord de l’île des Célèbres, en Indonésie. Il s’écrit avec l’alphabet latin. Le lexique manadonais est issu de l’indonésien en grande partie, mais aussi du hollandais (klaar, voor), de l’espagnol et du portugais.